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Pour un sourire

 Homme près de l'eau.jpg

image Pixabay

 

 

Un homme désespéré marchait seul dans la nuit, le long d’un canal. Il aurait suffi qu’il trébuche un instant… Il y avait en lui une grande douleur, une douleur ancienne, l’une de ces douleurs qui vous déchire les entrailles et incendie vos rêves de beauté.

 

Il marchait d’un pas rapide, mû par la volonté farouche d’atteindre un but inconnu, auquel pourtant, à certains moments inspirés, il pouvait donner un nom, une couleur, une musique, un parfum... Il marchait vite mais tête basse, le regard résolument tourné vers le sol, comme si les choses, les sons, les couleurs échappées de la nuit avaient eu le pouvoir de le détourner de sa mission.

 

Quand soudain apparut devant lui une silhouette nébuleuse qui prit très vite la forme d’un visage. Et au milieu de ce visage : un sourire. Et au-dessus de ce sourire, des yeux, des yeux qui souriaient eux aussi, à lui, rien qu’à lui. Il secoua la tête pour chasser cette image qui n’était pas, qui ne pouvait pas être réelle. Il la baissa de nouveau et poursuivit sa route. Mais le sourire était toujours là, dans le ciel, à sa gauche. Attiré par sa chaleur, il releva les yeux. Le sourire irradiait tant de douceur, tant de sincérité, tant d’amour, qu’il ne put en détacher le regard et que, malgré lui, il se mit à le suivre.

 

C’était étrange : d’un côté ce chemin de terre plongé dans les ténèbres, qui longeait un canal aux eaux sombres faiblement  éclairées par la lune, et de l’autre ce sourire éclatant qui brillait comme un soleil…

 

C’était doux, réconfortant…mais étrangement douloureux.

 

Il marcha, marcha, marcha encore, guidé par ce sourire obstiné qui l’amena tranquillement jusqu’au jour. Et soudain, devant lui, il vit un parc magnifique, dont les gouttelettes de lumière, perles vivantes nées de l’amour du soleil et de la rosée, faisaient un joyau. Il sentit alors un bonheur inconnu lui brûler le cœur et les yeux.

 

C’est alors que le sourire se mit à lui parler :

     
- Fais un vœu, mon ami, et pour toi, aujourd’hui, je l’exaucerai.

 

D’abord troublé par cette voix aux chauds accents, il se détourna et se tut. Mais la voix insista :

         
- Demande et je l’exaucerai.

 

Alors il se dit « Après tout, pourquoi pas ? ». Il ferma les yeux, serra très fort les paupières et se concentra de toutes ses forces. Quand il les rouvrit, il vit descendre sur lui et autour de lui, des cendres grises. Elles tombaient lentement, silencieusement, comme tombe la neige un jour froid d’hiver.

 

Bientôt, les cendres recouvrirent entièrement le sol, les arbres, les fleurs, l’eau de la rivière, les oiseaux, les mammifères. Lui-même en fut totalement recouvert. Le gris poudreux de ses cheveux lui donnait à présent l’apparence d’un vieillard. Il regarda ses mains recouvertes de suie et sut immédiatement à quoi ressemblait maintenant son propre visage.

 

Tout avait pris la couleur du linceul, la couleur de la mort. Seuls ses yeux avaient échappé à la grisaille. Même bordés de cils cramoisis, ils étaient bel et bien vivants et pouvaient encore voir le sourire, ce sourire insistant qui lui dit :

         
- Ainsi, tel était ton vœu, mon ami... ainsi tu préfères à l’aube ensoleillée le paysage lunaire après l’éruption volcanique… Soit, alors voici que ton premier vœu a été exaucé. Quel est ton second vœu ?

 

Surpris par ces mots, l’homme secoua la cendre de ses cheveux et de ses vêtements et leva la tête vers le sourire. Il venait déjà, d’une seule pensée, de créer un décor funèbre autour de lui. C’était bien ce qu’il voulait, non ? Qu’aurait-il pu souhaiter de plus ?

Et tout à coup, il sut. Il sut que pour renforcer sa certitude, il lui fallait éteindre le sourire, ce sourire qui savait même faire resplendir les cendres… Alors il ferma les yeux de nouveau. Il crispa les paupières, de toutes ses forces, pour empêcher les larmes de couler.

Quand il les rouvrit, le sourire était toujours là. Car on peut demander à un sourire d’exaucer toutes sortes de vœux, sauf celui de se faire disparaître lui-même.

 

Alors il sourit. Il sourit d’avoir été exaucé du vœu que dans le secret de son cœur il avait fait : ne pas être exaucé.

 

Et les cendres s’envolèrent et disparurent dans le bleu du ciel.

 

Et l’éclat revint sur les arbres et sur les fleurs.

 

Et les chants de bonheur retentirent à nouveau.

 

Et les parfums d’amour lui caressèrent l’âme.

 

Et devant lui, s’ouvrit un nouveau chemin…

 

 

 Martine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



26/01/2016
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