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Amertume et illusion

Un homme amer, pessimiste et taciturne se plaignait sans arrêt. Rien ni personne ne le satisfaisait jamais. Le moindre petit caillou dans l'engrenage bien huilé de son existence monotone était pour lui source de tracas pendant des jours et des jours. Il fuyait la compagnie des autres, comme s'ils avaient eu le pouvoir de le transformer en crapaud et, paradoxalement, ne supportait pas de les voir heureux sans lui.

Ainsi vivait notre misanthrope.

 

Un jour, l'un de ces innombrables petits tracas qui jalonnent toute vie arriva, à lui tout seul, à faire basculer sa fausse assurance, tellement l'eau acide de ses plaintes avaient fini par rouiller sa carapace. Il craqua et son corps fut très vite submergé par une gigantesque cascade. Refusant de regarder en face l'évidence de sa propre responsabilité dans sa noyade, il décida, du jour au lendemain, de tout quitter pour faire un voyage, tout seul, pour tenter de comprendre ce qui était en train de lui arriver.

 

À peine parti, sur son chemin, il fit la connaissance de trois amis. Chacun d'entre eux était porteur d'un handicap : Le premier était aveugle, le deuxième était sourd et muet, le troisième était unijambiste.

Les trois hommes semblaient très bien s'entendre et offraient au regard médusé de notre triste sire un tableau idyllique d'amitié insouciante. Les voyant rire aux éclats, tandis que lui-même ressassait depuis l'aube une légion de pensées négatives qui tournaient autour de lui comme des mouches énervées par l'orage, il était de plus en plus perplexe. « Comment peut-on rire ainsi quand on est diminué ? » s'interrogea-t-il alors, « moi, à leur place, je serais désespéré, je crois même que je me suiciderais. » N'y tenant plus, voulant savoir, il demanda à l'aveugle :

-          Dites-moi, comment faites-vous pour participer à la joie de vos amis sans voir leurs visages qui sourient ?

-          Mais…j'entends leurs rires, cela me suffit, répondit le non-voyant.

Il se tourna alors vers le sourd et demanda :

-          Comment pouvez-vous vous joindre aux rires de vos amis si vous ne les entendez pas ?

L'unijambiste traduisit ses paroles dans le langage des signes. Le sourd et muet répondit alors par le même moyen, que l'unijambiste traduisit :

-          Erreur mon ami, j'entends leurs rires en voyant leur bouche s'étirer, leurs yeux pétiller et les rides de joie sur leurs visages.

-          Mais vous, demanda-t-il alors à l'unijambiste, comment arrivez-vous à les suivre ?

-          Je me calque sur leurs pas et ils se calquent sur les miens, répondit-il tranquillement. Au son de ma jambe artificielle qui martèle le sol et à mon essoufflement, ou en voyant mon visage tout rouge et trempé de sueur quand le rythme de leur marche devient trop rapide, ils ralentissent l'allure pour m'attendre.

-          Je vous admire et vous envie tous les trois, de montrer autant de joie de vivre avec le lourd fardeau du handicap que vous devez porter tous les jours.

L'unijambiste demanda alors :

-          Vos amis sont-ils donc tous parfaits que vous n'arriviez pas à imaginer que l'on puisse être heureux même dans l'imperfection ?

-          Je n'ai pas d'ami, répondit l'homme tristement, les yeux humides et les épaules basses.

-          Ah ! Alors je comprends ! Comme c'est triste ! Mais viens donc avec nous, ami, nous comblerons ta solitude et tu combleras la nôtre. Nous nous regarderons sourire dans tes yeux et toi dans les nôtres.

 

Martine PV



03/02/2017
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