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Léon à l'envers

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— Non, non et non ! Hors de question !

Romain fixe Pauline d’un air ahuri. Elle est rouge écarlate, ses yeux lancent des éclairs. On dirait un coq dressé sur ses ergots. Si je poursuis dans cette voie, dans deux secondes, elle va battre des ailes, puis me foncer dessus pour me faire taire à coups de bec, ça fait pas un pli ! pense-t-il avec humour.

— Pourquoi tu t’énerves comme ça ? Il te suffisait de me dire « non », ça aurait amplement suffi, lui répond-il le plus calmement possible pour ne pas envenimer les choses.

Peine perdue, de toute évidence. Pauline est particulièrement hors d’elle. Peut-être même encore plus depuis qu’il lui a répondu.

— Tu te moques de moi, là… on en a parlé des centaines de fois ! Tu es bouché ou tu le fais exprès ? Je ne fêterai pas Noël avec mes frères et sœurs cette année, encore moins ici, point barre ! Tu as peut-être oublié la manière dont ils m’ont traitée la dernière fois qu’ils sont venus ici, mais moi pas ! Et je ne suis pas prête de l’oublier. Donc, c’est non ! Je ne sais pas dans quelle langue je dois te le dire ! No ! Nein ! Niet !

— OK, OK, n’en parlons plus.

— Oui, ben c’est aussi ce que tu m’as dit la dernière fois, et nous voilà encore en train d’en discuter.

— Parce que tu appelles ça discuter, toi…

— Appelle-le comme tu veux, Romain, mais ne me parle plus jamais de cette fête de Noël, répond-elle en s’efforçant toutefois d’adoucir un peu le ton de sa voix.

— Tu sais, ma chérie, je te comprends… c’est vrai qu’ils n’y sont pas allés de main morte, la dernière fois… mais c’est la fête de Noël, quand même… l’esprit de Noël, ajoute-t-il avec un petit sourire timide.

— L’esprit de Noël ? Ha ha ha ! Elle est bien bonne ! Est-ce qu’ils l’ont, eux, l’esprit de Noël, avec tout ce qu’ils ont été capables de m’envoyer comme vacheries !? Tout ça parce que je ne veux pas me faire vacciner ! Non, mais on nage en plein délire ! Et puis, de toute façon, tu sais, Noël ce n’est qu’un mot, finalement, pour la plupart des gens. Ce n’est que Léon à l’envers, après tout. Tu as déjà remarqué ce palindrome ? Tiens, ce serait marrant si on changeait un peu nos habitudes… on devrait dire « on va bientôt fêter Léon ». Parce que, finalement, n’est-ce pas ce à quoi ressemblent les fêtes de Noël à notre époque ? Léon… tu sais, comme le cri du paon quand il fait la roue. Un spectacle magnifique à regarder, si possible de près, à condition d’aimer les mauvaises odeurs. Parce qu’un paon quand ça fait la roue, Ouh là ! Qu’est-ce que ça fouette ! Tu te rappelles celui qu’on avait vu au parc St Cyprien ?

— Oui, oui, je m’en souviens, répond Romain, sidéré.

Il est habitué, maintenant, Romain, à l’imagination débordante de sa femme, mais alors là, cette fois, c’est quand même bien tiré par les cheveux ! Pauline continue tranquillement son monologue. C’est à peine si elle remarque le sourire à peine voilé de son cher et tendre.

— Oui, Léon, parfaitement, poursuit-elle. L.E.O.N. : Lassitude, Égoïsme, Orgueil… et… voyons… un qualificatif particulièrement négatif qui commence par N… J’ai ! Nécrose. Tu veux que je développe ?

Cette fois, Romain ne peut réprimer un sourire amusé. Même au plus fort de sa colère, la femme de sa vie lui apparaît magnifique. Pleine d’imagination plus que débordante. Là, d’ailleurs, c’est même plus que ça, c’est la mer entière qui déborde. Mais où va-t-elle donc chercher tout ça ? Même à travers la colère, il faut qu’elle trouve le moyen d’être originale.  

— Oui, je veux bien que tu développes, chérie, je suis curieux de savoir surtout ce que tu entends par « nécrose », lui répond-il, joueur.

— OK, alors allons-y. La lassitude, tout d’abord. N’as-tu jamais remarqué que tout le monde en a marre de ces fêtes de Noël qui n’ont de Noël que le nom ? Où l’on s’empiffre pendant des heures après avoir vidé son compte en banque de toutes ses économies d’une année entière, tout ça pendant qu’ailleurs sur la planète des gens crèvent de faim ?  L’égoïsme, maintenant : n’as-tu jamais repéré tous ceux qui abandonnent les personnes seules en prétextant que Noël c’est avant tout « une fête de famille », à célébrer « en famille » ? Sans parler de ceux qui « oublient » qu’ils ont une vieille mère quelque part au fin fond de la France, en train de crever de solitude. Tu vois de qui je veux parler… Quant à l’orgueil, n’en parlons pas : c’est à celui qui aura fait le cadeau le plus somptueux, le plus coûteux, le plus digne d’être appelé « cadeau de Noël ». Après quoi on s’empresse de revendre sur Internet ceux qui ne nous plaisent pas, même s’ils ont été offerts avec amour. Toujours pendant qu’à l’autre bout de la planète, d’autres gens n’ont même pas de quoi se payer une savonnette !

— Et ?

— Et quoi ?

— La dernière. Nécrose, fait Romain, hilare, bien décidé à ne pas se laisser embarquer dans la mauvaise humeur de sa femme.

— Ça te fait rire, toi, s’agace Pauline, mais moi, tu vois, ça m’exaspère.

— Je vois ça…

— Donc, Nécrose. Eh oui, nécrose…

— Oui ?

Pauline fixe Romain qui a du mal à retenir un fou-rire. Elle le voit aux trois petits plis aux coins extérieurs de ses yeux et aux petits frémissements de sa bouche. Romain voit qu’elle l’a remarqué. Il sent une légère accalmie dans le ton de sa voix, la soupçonne d’avoir envie de rire, elle aussi. Il la connaît bien, elle est très soupe au lait, Pauline. À chaque fois, la moutarde monte vite, mais son caractère plutôt doux et jovial fait qu’elle redescend toujours aussitôt. Même quand elle est très en colère. Ce qui est le cas en ce moment. Romain ne peut plus se contenir, il éclate de rire.

Pauline le fixe pendant plusieurs secondes, puis s’esclaffe à son tour, avant de lui répondre :

— Alors tu veux savoir pourquoi « Nécrose » ? Eh bien je vais te le dire. Nécrose, oui, parfaitement. Parce que, tu vois, chaque fois qu’ils viennent ici, ils ont quelque chose de désagréable à dire. Ceci devrait être comme ci, cela devrait comme ça, et à ta place je ferais comme ceci ou comme cela… Ce qui fait que même si je suis d’humeur très joyeuse, ils finissent toujours par nécroser ma joie, conclut-elle en fixant son mari d’un regard provocateur, satisfaite de sa trouvaille.

 

Romain lève ses deux mains pour l’applaudir, visiblement très amusé.

— Alors là, respect, ma chérie, tu t’en es sortie royalement.

— Merci. Bon, maintenant, si tu n’y vois pas d’inconvénient, et si tu veux manger ce midi, je dois terminer ma recette.

— Je peux faire quelque chose pour t’aider ?

— Tu n’es pas en tenue de sport pour aller courir, là ? lui répond-elle avec un petit sourire espiègle.

— Si…

— Bah alors, vas-y, fais ce que tu avais prévu de faire.

— Tu es sûre ?

— Certaine. Je crois que j’arriverai à éplucher cette dernière patate toute seule, tu sais...

— OK.

— Allez, vas-y ! Cours !

Posant la tranche de sa main droite sur sa tempe, Romain fait le signe « À vos ordres » accompagné d’une moue comique, tout en entamant une petite foulée stationnaire, avant de s’élancer en trombe vers la porte d’entrée. Ce qui provoque instantanément l’éclat de rire de Pauline.

 

   Tout en repositionnant son couteau économe sur la pomme de terre qu’elle vient de relâcher, Pauline hoche la tête de droite à gauche en pinçant ses lèvres aux commissures encore étirées. « Ah, mon Romain, heureusement que je t’ai ! Si seulement tout le monde pouvait avoir ton caractère ! » Mais seulement quelques secondes plus tard, en se remémorant sa dernière entrevue avec ses frères et sœurs, elle tempère légèrement son point de vue d’un « malheureusement, tu es trop gentil, tu te feras bouffer ! »

 

  En réalité, c’est à elle-même qu’elle adresse intérieurement cette remarque, car c’est ce qu’elle-même a fait toute sa vie, « se laisser bouffer ». Mais maintenant, c’en est assez, elle n’en acceptera pas une louche de plus ! La coupe est pleine, à présent, stop !

 

    Ce sont les dernières critiques de ses frères et sœurs qui ont fait déborder le vase. Elle les avait invités pour l’anniversaire de Romain. Comme d’habitude, elle avait mis les petits plats dans les grands, leur avait préparé un bon repas, avait décoré sa maison pour lui donner un air de fête. Elle avait même fait venir un ami DJ pour animer la soirée. De cette manière, ce dernier ne serait pas seul pour le réveillon, et ce serait en même temps l’occasion de l’aider un peu financièrement, car en cette période de crise sanitaire, ses affaires étaient loin d’être mirobolantes.

Pauline avait tout organisé dans les moindres détails, dans le seul et unique but de rendre tout le monde heureux. Depuis toujours, c’est sa manière à elle de fonctionner, sa philosophie de vie : tout faire pour apporter un peu de bonheur autour d’elle. Elle ne conçoit pas l’existence autrement, Pauline. Elle se dit toujours que la vie est courte et qu’il y a bien assez de choses négatives partout sur cette planète pour qu’au minimum on n’essaie pas de les rendre meilleures dans sa sphère personnelle. C’est toujours ça de pris, a-t-elle l’habitude de se dire.

 

   Mais ce fameux soir auquel elle n’arrête pas de penser, quelque chose s’était brisé subitement dans son esprit, quelque chose qui avait provoqué un déclic et changé radicalement sa manière de penser. Et ce revirement à cent quatre-vingts degrés, c’étaient ses frères et sœurs qui l’avaient provoqué. Ceux-ci sont au nombre de quatre : deux frères et deux sœurs. Dans leur ordre de naissance : Thomas, Élise, Louis, Charlotte. La première invective était sortie de la bouche de Louis, même pas cinq secondes après son entrée dans la maison :

— Tu es vaccinée, p’tite sœur ?

— Bonjour d’abord, avait répondu Pauline avec un clin d’œil.

— Oui, bonjour. Mais tu es vaccinée ?

— Non, pourquoi ? C’est important ? Si je te réponds par « non » tu vas repartir chez toi ? s’était-elle moquée gentiment.

— Non, mais je ne te ferai pas la bise, avait répondu Louis, sur un ton très sérieux, quant à lui.

— OK, alors tu te contenteras d’un sourire, parce que je ne suis pas vaccinée.

— Non… tu n’es pas encore vaccinée ??? s’était-il exclamé aussitôt, de l’air contrarié d’un père grondant son enfant qui vient de faire une énorme bêtise. Tu vas le faire bientôt ?

— Je n’en ai pas l’intention, non.

— Comment ça ? Pourquoi ?

— Parce que c’est comme ça. Mais dis donc, c’est quoi cet interrogatoire sur le pas de la porte ? Tu rentres ou tu sors ? Tu restes ou tu t’en vas ? avait commencé à s’énerver Pauline.

 

   Et c’était comme ça qu’avait débuté la soirée d’anniversaire de Romain, laquelle était censée être merveilleuse. Louis était resté, bien évidemment, mais avait poursuivi son interrogatoire, nullement découragé par le ton agacé de sa sœur. Il voulait à tout prix que Pauline justifie sa décision de ne pas se faire vacciner contre le Covid 19, ce « terrible fléau » en train de décimer la planète entière. « Es-tu allergique aux vaccins ? Non. Souffres-tu d’une maladie de cœur ? Non plus. Donc, tu n’as aucune raison logique de ne pas te faire vacciner », avait-il décrété sur un ton condescendant en fixant sa sœur d’un regard dur. Pauline avait eu toutes les peines du monde à rester zen devant le déferlement d’arguments qui avait suivi, et surtout à l’écoute de ce ton cassant qu’elle recevait en pleine figure comme une agression. « Mais quelle mouche le pique ? s’était-elle dit, je ne le reconnais pas, lui d’habitude si doux, si patient… » En d’autres circonstances, elle l’aurait rabroué à son tour, car elle n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, mais en cet instant, la réaction de son frère lui apparaissait si incongrue, si disproportionnée, qu’elle en était restée coite.

 

   Mais ce qui l’avait encore plus décontenancée, tout d’abord, puis outrée ensuite, c’était que ses frères et sœurs après lui avaient eu le même genre de réaction envers elle, les uns après les autres, puis tous ensemble d’une même voix. Le coup de grâce. « Cette soi-disant pandémie est en train de rendre tout le monde cinglé », se dit-elle en repensant à cette journée stressante. « Je ne sais pas si l’humanité entière va périr de cette fichue maladie, mais une chose est sûre et certaine, c’est que ça ne l’aura pas rendue plus intelligente. »

 

   Son frère Louis et sa sœur Élise avaient été les deux premiers à se faire vacciner. Ils avaient eu tellement peur d’attraper la maladie pendant toute cette dernière année cauchemardesque, se lavant consciencieusement les mains vingt fois par jour au gel hydro alcoolique, n’oubliant jamais de mettre leur masque chirurgical de protection, même chez eux quand ils étaient tout seul, qu’ils s’étaient précipités à l’ouverture du premier centre.

 

   Charlotte, quant à elle, l’année dernière, avait dû annuler son dernier voyage aux Antilles, pour cause de confinement obligatoire, et dire adieu en même temps à l’argent que celui-ci lui avait coûté, car elle ne serait jamais remboursée. Il était donc hors de question pour elle de devoir se priver de nouveau de voyages, de restaurants, de cinémas, de concerts… enfin de toutes ces bonnes choses qui font le sel de la vie, comme elle disait. « C’est pas pour une petite piquouze, » s’était-elle encouragée tout en programmant son rendez-vous sur Internet.

 

   Quant à Thomas, plutôt réticent au départ, suite à tout ce qu’il avait lu à propos de ce vaccin ARN aux effets secondaires « rares », mais néanmoins avérés, il avait attendu aussi longtemps que possible avant de se décider. Mais devant les menaces à peine voilées du gouvernement incitant les derniers réfractaires à sauter le pas sous peine de perdre leur emploi ou de ne plus pouvoir accéder à tous les services offerts au commun des mortels, il avait fini par tendre son bras, comme la plupart des Français.

 

   Pauline, elle, était restée sur ses positions. Elle s’était soigneusement renseignée sur des sites sérieux, et sur la base de données chiffrées fiables, avait découvert que ce vaccin pouvait avoir des répercussions graves, à plus ou moins long terme, sur certaines personnes à risque. Beaucoup plus que le virus en lui-même pourrait leur en causer. Or, elle s’estimait faire partie de ces personnes à risque, eu égard à ses antécédents médicaux, et même si son propre cas ne figurait pas sur la liste officielle déclarée par la Haute Autorité de Santé. Elle sentait, d’instinct, qu’elle ne devait pas se faire vacciner. Et c’était précisément ce qu’elle avait dit à Louis lorsqu’il lui en avait demandé la raison. Ce à quoi ce dernier avait répondu sur un ton méprisant :

— Ton instinct… ton instinct… mais ça n’a rien de scientifique, ça, ma pauvre fille… réveille-toi, un peu ! Tu ne vas quand même pas te mettre à croire tous les trucs de ces abrutis de complotistes !

— Ça n’a rien à voir avec ça, lui avait-elle répondu, on ne sait rien des effets à long terme de ce vaccin, il a été mis sur le marché avant la phase finale d’authentification de son innocuité sur l’organisme, et tu le sais très bien.

Mais Louis avait d’ores et déjà décidé que les arguments de sa sœur étaient complètement débiles – ce qu’il ne cessait de lui répéter d’un ton de plus en plus virulent – ajoutant que la réaction de cette dernière était digne des esprits moyenâgeux qui refusaient obstinément le progrès et les avancées de la médecine. Il avait même ajouté : « Louis Pasteur doit se retourner dans sa tombe ». Ce à quoi Pauline avait répondu sur un ton quelque peu moqueur : « Je ne sais pas si tu cites Pasteur parce que tu as le même prénom que lui, mais ça ne fait pas de toi une sommité de la médecine, tu sais… tu n’en sais pas plus que moi, et désolée, mais, je persiste et signe : je ne me ferai pas vacciner. Et je te demande de respecter mon choix comme je respecte le tien. »

La répartie de Pauline n’avait pas plu à son frère, mais alors pas du tout ! Il était monté sur ses grands chevaux et avait tout simplement traité sa sœur d’imbécile heureuse, de réactionnaire butée, d’obscurantiste… Élise en avait rajouté une couche en allant dans le sens de son frère, avec moins de virulence, toutefois, mais guère plus de tact. Son petit sourire moqueur en avait dit plus long que tous les mots. Avec une mauvaise foi incroyable, Charlotte avait renchéri en ajoutant qu’elle s’était fait vacciner surtout pour protéger les autres, ce en quoi elle mentait effrontément, elle qui, de toute sa vie, n’avait jamais fait quelque chose pour quelqu’un d’autre que pour elle-même.

 

   Mais la goutte qui avait fait déborder le vase avait été la réaction de Thomas, le plus réfractaire d’entre eux au début et le plus acharné ensuite contre les antivax, comme il avait l’habitude de les nommer. « Tu n’es pas seulement stupide, tu es aussi égoïste ! s’était-il exclamé. Tu ne penses qu’à toi, à cause de toi des gens vont mourir ! » Ce à quoi les autres avaient vivement acquiescé, oralement ou d’un signe de tête.

 

   Cette dernière réaction avait tout d’abord laissé Pauline sans voix. Elle était choquée. Réellement choquée. Puis elle s’était sentie blessée. Profondément blessée. Comment pouvaient-ils se permettre de lui dire ça ? De la juger, de la condamner de cette manière ? Mais surtout, surtout, de la traiter d’égoïste ! Elle qui depuis toujours avait toujours fait tout et plus encore pour sa famille, qui les avait tous aidés de multiples manières, pratiquement, financièrement, psychologiquement. Qui les avait encouragés, réconfortés, motivés, chacun leur tour, chaque fois qu’ils se posaient des questions sur tel ou tel sujet, chaque fois qu’ils doutaient, chaque fois qu’ils avaient peur… Elle qui les avait soignés aussi, veillés, même, notamment pour Thomas, à une période de sa vie où il avait dû traverser cette horrible maladie, extrêmement grave et douloureuse. Elle qui les recevait toujours si chaleureusement lors de chaque anniversaire, chaque fête annuelle, dont celle de Noël, tout ça parce que c’était elle qui avait la plus grande maison et qui pouvait recevoir tout le monde, couples et enfants, en toute aisance. Peu à peu la rage s’était mise à monter en elle, monter, monter… jusqu’à ce qu’elle explose d’un seul coup devant ses frères et sœurs médusés :

— OK, c’est bon, j’en ai assez entendu, là, tout le monde dehors !

Ils en étaient restés figés sur place pendant plusieurs longues secondes, la fixant d’un air ahuri. Ils n’avaient pas l’habitude de voir leur sœur s’énerver de cette façon.

Voyant qu’ils ne bougeaient pas, Pauline avait renchéri, hors d’elle :

— Allez, allez, hop, dehors ! Oust ! Sortez de ma maison !

— Ne le prends pas comme ça, Pauline, on n’a rien dit de mal, on voulait juste te faire comprendre les choses, c’est tout… avait dit Louis.

— Louis a raison, avait renchéri Charlotte, on veut juste ton bien, tu le sais bien, on se fait du souci pour toi...

— Dehors ! avait insisté Pauline, de plus en plus remontée.

— Tu ne peux pas nous faire ça, voyons, Pauline, avait tenté à son tour Élise. Devant les enfants…

— Tu ne peux pas nous jeter dehors comme ça, avait ajouté Thomas.

— Et comment, que je peux le faire ! Vous devriez déjà être partis ! Une dernière fois : dehors ! avait crié Pauline, de plus en plus énervée, poussant même Thomas d’un geste ferme sur son bras. Comme ça, vous pourrez débattre ensemble en toute tranquillité et sans moi sur le thème de l’égoïsme !

 

   Quelques secondes plus tard, ils s’étaient tous retrouvés sur le pas de la porte, déconcertés par la réaction de Pauline. Frères et sœurs, beaux-frères, belles-sœurs, enfants, tous étaient restés plusieurs secondes à se regarder dans le blanc des yeux, attendant patiemment, probablement dans l’espoir que Pauline revienne à de meilleures dispositions, car c’était là une attitude qui lui ressemblait tout de même beaucoup plus. Mais cette dernière n’avait pas changé d’avis, elle était même restée particulièrement furieuse pendant très longtemps. De longues heures après l’incident, elle était toujours hors d’elle. Elle en avait même eu des maux d’estomac. Tout ceci sous le regard compréhensif et compatissant de Romain, qui n’était pas intervenu tout le temps de la conversation, mais qui avait ensuite hurlé à travers la porte :

— Et ne remettez plus jamais les pieds ici !

 

   En repensant à tout cela, Pauline a les larmes aux yeux. Plusieurs mois plus tard, elle en a encore gros sur le cœur. Tant d’ingratitude et de méchanceté gratuite de la part de sa propre famille l’avaient véritablement mise à terre. Plus bas que terre, même. Elle s’était vraiment sentie comme un vermisseau insignifiant face à la hargne des « êtres supérieurs ». Super désagréable, comme sensation. D’un autre côté, cette brouille familiale avait eu un côté bénéfique, finalement. Cela lui avait permis de réaliser quelque chose d’important pour son propre équilibre. Elle avait pris conscience de ce qu’il lui restait encore à modifier dans sa vie pour plus de sérénité et d’épanouissement. Cette réaction injuste de ses frères et sœurs envers elle lui avait permis de mettre le doigt sur l’un de ses propres traits de caractère, lequel, loin de lui apporter la sérénité, avait fini par lui nuire au fil des années : sa propension à toujours vouloir faire le bonheur des autres sans jamais rien attendre en retour, à se sacrifier même pour eux, parfois, même si personne ne lui en était jamais reconnaissant. Elle n’attendait nulle reconnaissance, certes, et ce n’était pas la gratitude qui eût pu ajouter quoi que ce soit à son bien-être, mais devait-elle accepter pour autant l’ingratitude manifeste ou l’attitude méprisante de ses proches qui tenaient pour acquis son comportement affable envers eux ? Non, bien sûr que non ! Ce jour-là, elle avait réalisé, d’une façon extrêmement violente, que ses frères et sœurs s’étaient toujours plus ou moins servis d’elle, ou du moins, avaient généreusement abusé de sa gentillesse. Avec son accord tacite, avait-elle été obligée de reconnaître.

 

   Eh bien maintenant, c’est fini ! Terminé ! D’ailleurs, elle ne leur pardonnerait jamais d’avoir gâché ainsi l’anniversaire de son merveilleux Romain, lequel avait réagi avec tant d’amour envers elle pendant et après l’incident, qu’elle en a encore les larmes aux yeux chaque fois qu’elle y repense. Et pourtant, lui-même l’est, vacciné, et depuis longtemps, mais à aucun moment il ne lui a fait le moindre reproche pour sa décision inverse ni n’a jamais tenté de l’influencer de quelque manière que ce soit pour qu’elle le fasse aussi. Cela s’appelle le respect envers l’autre. Et Romain n’en a jamais été dépourvu, lui, ni envers elle ni envers quiconque. Elle ne peut pas en dire autant de ses frères et sœurs ! Oh non, elle ne les invitera pas pour Noël, alors ça, jamais ! « Ils n’ont qu’à se débrouiller ensemble tous autant qu’ils sont, avec leurs certitudes à l’emporte-pièce et leurs jugements arbitraires. On sera tout aussi bien en amoureux, Romain et moi. » À l’instant même où Pauline se fait cette réflexion, une autre pensée lui traverse l’esprit, comme s’enroulant autour de la première tel un serpent. « Tout de même, Noël sans eux ne sera pas Noël ». Aussitôt une profonde tristesse s’abat sur ses épaules, chassant instantanément la colère. Ce sera la première fois en neuf ans que ses frères et sœurs ne viendront pas fêter Noël avec eux. Pauline repense avec nostalgie à tous ces merveilleux moments passés en compagnie de sa famille, près du grand sapin entouré de cadeaux d’un côté et de la cheminée où crépitait toujours un bon feu de bois de l’autre. Elle revoit les regards émerveillés des enfants devant les boules scintillantes. Elle entend leurs rires excités à l’idée de ce qui se cache sous les emballages brillants et enrubannés. Elle-même n’a pas d’enfant ni ne pourra jamais en avoir, alors ses neveux et nièces, le temps d’un soir, sont un peu les siens aussi, et elle adore les gâter, les chouchouter.

 

   En cet instant où elle est penchée au-dessus de sa cuisinière, Pauline ne sent pas l’odeur de la gousse d’ail qu’elle est en train de faire dorer dans la poêle, mais celle des bougies de Noël parfumées d’encens, de cannelle, de myrrhe, de vanille et d’oranges qu’elle allume toujours pour l’occasion. Elle entend en même temps cette musique angélique qu’elle adore et qui accompagne si bien l’ambiance chaleureuse de cette fête de l’amour. Car pour Pauline, comme pour la plupart des gens, Noël représente avant tout la fête de l’amour. L’Amour avec un grand A. Celui qui met les petits plats dans les grands pour ceux que l’on aime. Celui qui accroche un grand sourire sur les visages à l’idée du bonheur qu’on va leur apporter. À quoi peut bien servir un sourire s’il n’est partagé ? Certes, on peut sourire aux anges, et il lui arrive de le faire de temps à autre, quand elle pense à quelque chose qui lui ravit le cœur, mais à la base, un sourire c’est quand même fait pour être offert aux autres, partagé ! Bien sûr, cette année elle pourra l’offrir à son Romain bienaimé, ce sourire, mais il est clair que Noël n’aura pas le même charme ni le même goût que les autres années, c’est sûr et certain. Sans compter que c’est aussi et surtout une fête chrétienne, il ne faut pas l’oublier, et que c’est également pour beaucoup de gens l’occasion de se pardonner les uns aux autres. Car aimer c’est aussi pardonner. Et d’habitude, Pauline est peut-être la personne au monde la plus apte à pardonner. Elle n’a jamais éprouvé de rancœur aussi tenace envers qui que ce soit. Encore moins envers sa famille ou ses amis proches. Elle ne se reconnaît tout simplement pas. Tout cela ne lui ressemble pas du tout. Ses frères et sœurs ont plusieurs fois tenté une timide approche pour se faire pardonner leur attitude, mais rien à faire, elle n’a rien voulu entendre. Elle a coupé les ponts. Comme ça, en un instant. Une coupure nette, tranchante directe. Une coupure de laquelle coule toujours le sang de l’amertume.

 

   Et puis, Romain aussi a toujours bien aimé ces fêtes de Noël en compagnie de la famille de Pauline, lui qui, enfant de l’assistance publique, n’en a jamais eu, quant à lui. Hormis, bien sûr, ces familles d’accueil qui s’étaient succédé durant toute son enfance et son adolescence. Certes, certaines d’entre elles lui avaient apporté un semblant de stabilité, mais rien de comparable avec une vraie famille soudée par les liens de l’amour parental et fraternel. Il apprécie d’autant ces retrouvailles familiales joyeuses. Pauline sait très bien qu’il lui en a coûté d’approuver sa décision de ne plus revoir les siens, ce qui, d’ailleurs, ne la surprend pas. Son mari l’a toujours soutenue dans toutes ses décisions, toutes les situations, et ceci contre vents et marées. Dût-elle un jour commettre le plus horrible méfait, elle est certaine qu’il la soutiendrait encore et la défendrait bec et ongles contre quiconque voudrait s’en prendre à elle de quelque façon que ce soit.

 

   Mais a-t-elle le droit de le priver de ce qu’il considère lui-même comme l’un des petits bonheurs de la vie, selon sa propre expression ? Elle a bien senti, tout à l’heure, qu’il aimerait qu’elle jette l’éponge, même s’il ne l’a pas expressément exprimé. Et puis… il a raison, en fait. Il s’agit quand même de ses frères et sœurs… et de la fête de Noël ! « Bon, je vais réfléchir, se dit-elle, on n’est que le 15 octobre, après tout, y’a pas l’feu au lac ! »

 

 

   Généralement dans la vie, quand on ne se décide pas immédiatement à faire les choses qui nous semblent compliquées ou déplaisantes, on ne les fait jamais. Une semaine est passée, puis deux, puis trois, puis plusieurs autres. On est déjà à quinze jours de Noël, mais Pauline n’a pas encore sauté le pas. Elle n’a toujours pas acté la décision qu’elle a pourtant déjà prise dans sa tête, après des jours et des jours de questionnement attristé et autant de procrastination : recevoir comme d’habitude ses frères et sœurs pour le réveillon. Mais tout ceci a fini par la miner de l’intérieur, à l’obséder littéralement. Si elle veut être honnête avec elle-même, elle est obligée d’admettre l’idée que passer le réveillon de Noël sans ses frères et sœurs et leurs familles lui est devenu tout simplement inconcevable. Aussi, un soir, elle risque une approche timide auprès de Romain. Ce dernier est confortablement installé sur le canapé du salon, en train de consulter sa messagerie sur son I Phone, lorsqu’elle se lance :

— Dans quinze jours, c’est Noël, chéri.

Il relève la tête aussitôt, l’air un peu surpris. Pendant quelques secondes, il scrute sa femme en silence, avant de lui répondre :

— Oui… et alors ?

— Tu ne te dis pas que ça va être triste, cette année ?

— Triste ? Bah non… pourquoi triste ? On sera tous les deux, c’est pas cool, ça ?

— Oui… bien sûr…c’est cool, mais…

— Mais quoi ?... Qu’est-ce que tu cherches à me dire, ma chérie ?

— Eh bien…

— J’ai l’impression que c’est plutôt toi qui trouves ça triste, ou bien je me trompe ?

— Non, tu ne te trompes pas, c’est bien ça. Tu as raison à propos de mes frères et sœurs, tu sais. Il est peut-être temps que je me réconcilie avec eux. C’est trop bête de rester fâchés comme ça pour un truc aussi stupide.

— Je ne te le fais pas dire… Eh bien…tu n’as qu’à leur téléphoner, tu auras l’esprit plus tranquille.

— Oui, et les inviter pour Noël, qu’est-ce que tu en penses ?

— Je me doutais bien que c’était ce que tu avais derrière la tête, répond-il, amusé. Mais…

— Mais quoi ?

— Je crains que ce ne soit impossible.

— Comment ça ? Pourquoi ?

— Eh bien… ton frère Thomas m’a appelé il y a quelques jours. Il m’a demandé si tu étais toujours dans les mêmes dispositions, et j’ai dû lui répondre oui, puisque tu m’avais encore dit deux jours avant que tu ne voulais absolument pas les recevoir pour Noël. Il me demandait ça parce que lui et les autres envisageaient la possibilité d’un voyage ensemble, du coup. Comme je lui ai dit que tu ne voulais plus les voir, ils ont réservé leur billet d’avion pour les Antilles.

— Ah bon ? Mais pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

— Je ne voulais pas te froisser, ma chérie. Rappelle-toi notre dernière conversation…

— OK, mais tu aurais quand même pu m’en parler.

— Ça aurait changé quelque chose, tu crois ? À ce moment-là, tu étais toujours dans le même état d’esprit.

Pauline réfléchit un instant avant de répondre :

— C’est vrai, tu as raison, à ce moment-là je n’étais pas prête. Bon, tant pis… Le problème est réglé, comme ça. Pas de coup de fil à donner. On verra ça à leur retour.

— Comme tu veux, ma chérie.

 

   Pauline ne le montre pas à Romain, bien sûr, mais elle est très déçue. Ainsi, son mari et elle vont réellement passer le réveillon de Noël en tête à tête, pour la première fois depuis neuf ans ! Non pas qu’un dîner aux chandelles ne l’inspire pas du tout, bien au contraire, mais ça, ils auraient pu le faire un autre jour. « Et puis… c’est pas comme si nous n’étions jamais à deux, se dit-elle. Bon, de toute façon, ce qui est fait est fait, ça ne changera rien de ruminer. C’est que ça devait se faire comme ça, et puis c’est tout. »

 

   Romain est contrarié de la voir aussi déçue, sans se douter que cette déception va se prolonger pendant des jours et des jours. Cette fois où ils ont eu cette discussion houleuse à propos de ses frères et sœurs, il n’a pas supposé un seul instant que Pauline pourrait changer d’avis plus tard, même s’il connaît par cœur le caractère soupe au lait de sa femme. Car ce jour mémorable de sa fête d’anniversaire avortée, elle a été profondément blessée. Il l’a ressenti au plus profond de lui-même. Si fort que ça lui a même fait mal. D’où sa réaction de colère à travers la porte, lui qui garde son calme en toutes circonstances. Mais jamais avant ce jour-là il n’avait vu Pauline atteinte aussi durement par les mots ou les gestes de quelqu’un. Elle est plutôt d’une nature forte, Pauline. Ultrasensible quand il s’agit des autres, à fleur de peau lorsque ses proches ou même le premier inconnu qui passe souffre sous ses yeux, mais forte comme un roc pour elle-même. Pourtant ce jour-là, en plongeant ses yeux dans ceux de cette femme qu’il aime plus que tout au monde, c’était comme si pour la première fois il avait vu se déverser sous ses yeux les flots tumultueux d’un fleuve débordant sous l’effet d’un puissant orage. Alors, le fait de la voir aujourd’hui prête à passer l’éponge lui procure une joie indicible. Il sait combien Pauline aime être entourée des siens, combien cette séparation d’avec ses frères et sœurs lui coûte, combien être en leur compagnie pour les fêtes de Noël est important pour elle. Il va falloir redoubler d’imagination, cette année, pour lui faire oublier un peu leur absence, pour compenser le manque d’eux, d’une manière ou d’une autre. Pour enfin réussir à poser un sourire sur ses lèvres au cœur même de sa tristesse. Sinon, ce jour de Noël, au lieu de faire pétiller ses yeux de bonheur comme à l’accoutumée, va au contraire la rendre extrêmement triste.

 

 

   Le fait est que cette tristesse tant redoutée de Romain semble vouloir déjà se dessiner la veille du réveillon, lorsque Pauline lui demande de l’accompagner au supermarché.

— On n’en aura pas pour longtemps, le rassure-t-elle, pour nous deux tous seuls les achats vont être vite faits. Je sais que tu n’aimes pas ça, mais cette année je n’ai pas la force d’y aller seule. Tu comprends ce que je veux dire ?

— Je comprends très bien, ma chérie, mais non, je ne viendrai pas faire les courses avec toi.

Pauline s’apprêtait à se saisir de son livre sur la table du salon quand Romain a répondu à sa question. Ce qui a stoppé net son geste. Elle le fixe, ahurie. Elle ne s’attendait pas du tout à cette réponse.

— Tu ne veux pas m’accompagner ? Pourquoi ? Tu as prévu autre chose ? lui demande-t-elle, visiblement contrariée.

— Non, pas du tout. Simplement, il est inutile de faire des courses, répond-il avec un petit sourire taquin assorti d’un clin d’œil.

— Il va falloir que tu m’expliques, là, Romain, répond Pauline, mi-figue mi-raisin.

— Allez, je ne vais pas te taquiner plus longtemps. Les courses sont inutiles, tout simplement parce que demain soir je t’emmène réveillonner ailleurs.

Pauline le fixe en silence pendant plusieurs secondes d’un air étonné.

— Ah bon ? Tu as réservé quelque part ?

— C’est ça, j’ai réservé, confirme-t-il, énigmatique.

— Bon… d’accord… Où ça ? Où as-tu réservé ?

— C’est une surprise, ma chérie. Tu verras demain.

— OK… mais…tu ne peux pas me donner au moins un indice ?

Pauline est intriguée, maintenant, elle voudrait bien savoir ce qu’a manigancé son adorable mari toujours aussi inventif.

 — Non, non, non, nul indice, ma mie, lui répond-il, joueur. Tu auras la réponse demain. Cette année, j’ai envie de te surprendre. Je veux que tu passes le plus beau Noël de toute ta vie.

Pauline en a les larmes aux yeux. Elle sait pourquoi il fait ça. Il voit combien elle souffre tous les jours de cette séparation d’avec sa famille. Elle comprend tout. Tout ce qui lui importe à lui, c’est de revoir un sourire sur son visage. Elle le trouve merveilleux, d’une attention si touchante… En cet instant, elle décide fermement de prendre sur elle et de se laisser guider docilement. Elle ne le décevra pas, en tout cas. Il mérite bien un petit effort de sa part.

Tout en tendant sa main vers lui pour qu’il la prenne dans la sienne, elle lui murmure tendrement dans un souffle :

— Je t’aime.

— Moi aussi je t’aime, mon amour, tu n’imagines pas à quel point.

— Oh si… je le sais.

Quelques secondes plus tard, ils sont nus dans les bras l’un de l’autre dans ce grand lit à baldaquin qu’il a fait livrer pour elle la semaine dernière, parce qu’elle en rêve depuis toujours, parce qu’elle trouve que c’est beau, romantique, parce ça fait princesse de conte de fées. Et sa princesse à lui, c’est elle, alors rien n’est trop beau pour elle.

 

   Le lendemain matin, au réveil, après un long câlin amoureux, Romain avertit Pauline :

— Nous allons prendre la route très tôt dans l’après-midi, ma chérie, je préfère te prévenir, au cas où tu aurais des choses à faire avant. Ah oui, et puis aussi, prévoie des vêtements pour trois jours.

— Ah bon ? C’est si loin que ça ? Tu as réservé à l’hôtel ? Ou bien dans une chambre d’hôte ? Et on va rester trois jours ?

— C’est ça, on va rester trois jours. Si tu n’y vois pas d’inconvénient, bien entendu.

— Non… bien sûr que non, j’aime bien les surprises, mon cœur, tu le sais.

— Super !

— Bon ben… je vais me lever, alors, il est déjà dix heures.

— Non, non, attends ici. Les bonnes choses commencent maintenant. Je m’occupe du petit-déjeuner.

— Non… le petit-déjeuner au lit ?

— C’est ça. Attends-moi là, ma chérie, j’en ai pour dix minutes, tout au plus.

— D’accord, je ne bouge pas, répond-elle, amusée.

« Ce réveillon de Noël s’annonce plutôt bien, finalement », se dit-elle, un grand sourire aux lèvres. « Romain se décarcasse vraiment pour me rendre heureuse, j’ai beaucoup de chance de l’avoir, c’est vraiment le meilleur des hommes. »

 

   Trois heures plus tard, ils sont déjà sur la route. Pauline est tout excitée à l’idée de découvrir la surprise de Romain. Ils ont pris la direction de Strasbourg. « La chambre d’hôte ou d’hôtel se trouve-t-elle dans l’est de la France ou plus bas encore ? » Ce qui lui fait penser qu’il n’a pas répondu sur ce sujet, d’ailleurs, elle ne sait pas s’ils vont à l’hôtel ou dans une chambre d’hôte. « Peu importe, de toute façon, je suis sûre que ce sera parfait, Romain fait toujours les choses bien, se dit-elle. On va sûrement s’arrêter dans l’est, ça m’étonnerait qu’on aille plus loin, ou bien ça nous ferait arriver juste avant la soirée de réveillon. Il faut quand même qu’on ait le temps de se reposer un peu du voyage, de se rafraîchir, de se changer… »

 

  Mais à hauteur de Nancy, Romain prend l’embranchement Dijon/Chaumont. Puis, un peu plus tard, ils se retrouvent sur la route de Gérardmer, ensuite sur celle de La Bresse, après un court arrêt sur un parking, le temps d’installer les pneus neige.  En effet, la météo est à la neige depuis plusieurs jours.

— On va à La Bresse ?

— Ts, ts, ts, tu verras bien, lui répond gentiment Romain.

— OK…

— Il n’y en a plus pour longtemps, ma chérie. On est presque arrivés.

Quinze minutes plus tard, la voiture roule sur une allée immaculée bordée de sapins tout blancs ployant sous le poids des flocons, tandis que la neige continue de tomber.

— Tu as même commandé de la neige pour Noël, tu fais vraiment les choses bien, fait Pauline avec un grand sourire.

— Je t’en prie, ma chérie, rien n’est jamais trop beau pour toi, tu le sais bien, répond Romain, charmeur, tout en tournant la tête vers elle d’un air amusé.

 

   Ils pénètrent maintenant sur une propriété privée dont la grille est grande ouverte. Juste après leur passage, celle-ci se referme lentement avec un léger grincement.

— On entre ici comme dans un moulin, remarque Pauline. Tu n’as même pas dû décliner ton identité, il n’y a pas d’interphone à l’entrée, ni de digicode, ni rien. C’est bizarre…Ils n’ont quand même pas de détecteur de plaque d’immatriculation ? Tu leur as donné ton numéro de plaque ?

— Non…tu as raison, c’est bizarre. Mais bon, il doit y avoir une explication.

— En tout cas, c’est magnifique, ici ! s’exclame-t-elle joyeusement. Que rêver de mieux qu’un paysage d’hiver pour fêter Noël ?

— Et tu n’as encore rien vu, ma chérie, répond Romain d’un air amusé, visiblement très heureux.

 

   L’allée semble interminable à Pauline. Ou bien est-ce parce qu’ils roulent lentement ? Un léger virage à gauche, et enfin, tout au bout, à environ cent-cinquante mètres, apparaît la demeure où ils vont réveillonner ce soir. Un chalet. Plutôt grand. Il s’agit donc bien d’une maison d’hôtes. Toutes les fenêtres sont éclairées. Les murs scintillent et clignotent légèrement de dizaines de guirlandes illuminées installées pour l’occasion.

— C’est superbe ! Ils font les choses bien, ici. Tout en élégance, fait-elle, visiblement charmée.

— C’est vrai, ma chérie, c’est très beau. Je suis content que ça te plaise. Et tu n’es pas au bout de tes surprises, crois-moi. Quand tu vas voir l’intérieur !

 

    À ces mots, les yeux de Pauline se mettent à pétiller de joie anticipée. Elle a toujours adoré les surprises. Elle réagit à chaque fois comme un enfant devant un nouveau jouet.

— J’irai me garer plus tard sur le parking là-bas, précise Romain en indiquant celui-ci du doigt, juste avant d’arrêter la voiture devant l’entrée. On va d’abord aller se présenter.

 

    Pauline et Romain descendent de voiture en veillant à ne pas glisser sur le sol glacé, puis se dirigent vers l’entrée à petits pas prudents. Romain appuie sur la sonnette, puis s’efface aussitôt derrière Pauline. La porte s’ouvre en grand dans la seconde qui suit.

— Surprise !!!

Ils ont crié joyeusement tous en même temps. D’un même souffle. D’une même voix. Thomas, Louis, Charlotte, Élise, Marie, la femme de Thomas, Mélanie, celle de Louis, Théo, le compagnon d’Élise. Et puis les enfants : Chloé, Jade, Manon, Gabriel, Lucas, Léo, lesquels sont déjà en train d’entourer Pauline, les yeux brillants, et riant sans aucune retenue.

 

   Passée la première seconde de surprise, Pauline en reste un long moment abasourdie, les larmes aux yeux. Elle finit par se retourner vers Romain, tout aussi ému qu’elle, et l’inondant de son regard rempli d’amour et de reconnaissance, lui adresse un vibrant merci rempli de trémolos, avant de s’avancer prestement, toute tremblante et en larmes, pour serrer sa famille dans ses bras.

 



28/11/2021
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