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Les voyages de Meluda / La communication

     Le Roi Pérénius a longuement réfléchi. Il pense qu’il est temps, à présent, d’envoyer de nouveau son fils Meluda sur terre, pour une seconde mission. Il le fait appeler, puis lui ordonne d'une voix affectueuse mais ferme :

– Mon fils, il te faut maintenant te documenter sur le langage et la communication chez les terriens. 

– Mais… père… se permet de répondre Meluda, j’ai déjà pu me rendre compte de la manière dont communiquent les humains, lors de ma dernière visite sur terre.

– Mais tu n’as pas véritablement approfondi ce sujet, et d’ailleurs, les choses ont beaucoup évolué depuis, au cours de cette génération. Je te demande donc de les observer, puis de me faire un compte-rendu détaillé de ce que tu auras appris.

– Bien père, comme tu voudras, je m’y rendrai donc. Dois-je parcourir la terre entière ?

– Non, je t’envoie dans la partie occidentale de la planète terre. Cela suffira. Il te faudra observer les terriens au sein de leurs familles, dans leur milieu professionnel et associatif, dans les transports, dans leur sphère ludique.

– D’accord père, je remplirai ma mission au mieux, tu peux compter sur moi.

– Très bien. Ah, une dernière chose : dans certains cas - quand tu te trouveras dans une famille, par exemple - tu devras te rendre invisible, naturellement.

– Bien sûr, père, cela va de soi !

 

     C’est ainsi que Meluda atterrit un matin au beau milieu d’une rame de métro, sous les traits d’un employé anonyme se rendant à son travail. Assis à sa droite, un jeune homme d’une vingtaine d’années, un casque sur les oreilles, les yeux fermés, hoche très légèrement la tête de haut en bas, sur un rythme régulier. De ses écouteurs, parvient à Meluda le son d’une musique saccadée.

 

     À sa gauche, une jeune femme est penchée sur un autre appareil, à écran celui-là, de forme rectangulaire, un instrument qu’elle ne quitte pas des yeux et sur lequel, de temps à autre, elle promène son doigt. En face de Meluda, un homme, penché lui aussi, sur un objet plus petit. À ses côtés, une femme à peu près du même âge, le regard également rivé sur un petit outil. À un moment, Meluda la voit le porter à son oreille, sans pour autant relever les yeux du sol. Il en conclut qu’il doit s’agir d’un appareil téléphonique, tel que cela lui a été décrit par son père.

Jusque là, Meluda n’a pas encore eu le loisir d’entendre le son d’aucune voix, puisque toutes les personnes se trouvant dans la rame semblent être seules. Du moins, était-ce ce qu’il pensait… Car au bout de dix minutes, à l’arrivée à sa station, la femme se lève de son siège, et avant de sortir, lance un « À ce soir ! » à l’homme, qui lève à peine les yeux et lui fait une réponse inaudible.

« Pour l’instant, ça ne va pas être compliqué à retenir, s’amuse intérieurement Meluda, pas une parole ! »

     À cet instant précis, son œil est attiré par un couple de jeunes étudiants - du moins leur apparence et les sacs qu’ils portent le laissent-ils supposer -. Ils sont debout au milieu de la rame, entre les rangées de sièges. La jeune fille montre avec un regard ostensiblement courroucé, l’écran de son téléphone au jeune homme, lequel ne répond pas et ne montre aucune réaction. Chacun d’eux se replonge dans ses pensées et se mure encore plus profondément dans le silence, leur téléphone dans une main, l’autre tenant la barre. Au bout de trente secondes, le téléphone de la jeune fille se met à vibrer. Comme Meluda a vu le jeune homme tapoter sur les touches quelques secondes auparavant, il en conclut aisément que ce dernier vient de répondre à la jeune fille. D’ailleurs, cette impression lui est confirmée un petit moment plus tard, quand cette dernière lit son message, puis adresse au jeune homme un regard contrarié. À l’arrêt suivant, le jeune homme et la jeune fille descendent ensemble, sans un mot. Meluda sort aussi.

 

     Ceci marque la fin de la première leçon de communication pour Meluda. Il note scrupuleusement dans son carnet : communication dans les transports en commun : se fait à travers des écrans et des écouteurs.

Meluda choisit ensuite, au hasard parmi la foule anonyme, un homme en costume-cravate, portant un attaché-case. Il le suit jusqu’à son lieu de travail. Dès qu’ils arrivent devant l’entrée de l’entreprise, Meluda se rend invisible.

 

     L’homme pénètre dans un large hall aux murs de marbre et carrelage étincelant - Visiblement, ils se trouvent au sein d’une société florissante -. Puis il se dirige vers un ascenseur, devant lequel attendent déjà quatre autres personnes. L'homme les salue une par une d’un « Bonjour, ça va ? », auquel elles répondent l’une après l’autre : « Ça va, et toi ? »

« Ce doit être un signe de reconnaissance », pense Meluda.

L’ascenseur arrive. Les cinq personnes y pénètrent. Celle qui est la plus proche des boutons d’appel, demande aux autres : « Quel étage ? », puis, au fur et à mesure des réponses, appuie sur les touches appropriées. La montée se déroule ensuite sans le moindre mot. On n’entend que les notes soporifiques d’une musique d’ambiance.

 

     Arrivé à son étage, l’homme descend et longe un long couloir pour rejoindre le bureau où il travaille. Il y croise trois personnes. Le même rituel des « Bonjour, ça va ? » recommence, ce qui conforte Meluda dans l’idée qu’il s’agit bien là d’un rituel.

L’homme pénètre dans un bureau assez spacieux, où cinq personnes sont déjà en train de travailler. Il donne une poignée de main aux hommes et fait la bise aux trois femmes, en l’accompagnant du rituel « Bonjour, ça va ? ». Meluda note tout de même une variante dans la réponse : « Comme un lundi… »

« Serait-ce que les lundis sont différents des autres jours ? » se demande-t-il alors.

Pendant les deux heures qui suivent, Meluda n’entend plus aucun son, sinon le ronron régulier des ordinateurs. Puis, tout à coup, une voix brise le silence :

– Max ?

– Oui ? répond l’homme, dont Meluda connait à présent le prénom, puisqu’ il s’agit de celui-là même qu’il suit depuis le matin.

– T’as reçu mon mail ? demande l’autre. Tu m’as pas répondu…

– Ah ? tu m’as envoyé un mail ? Bah non… j’pense pas… attends, je vais voir.

– …

– Non, je l’ai pas eu, c’est bizarre… tu disais quoi dans ce mail ?

– J’te demandais si t’avais reçu mon rapport.

– Bah oui, je l’ai reçu.

– Ok, bah réponds-moi par mail.

– Dakodac ! Je te réponds tout de suite.

Meluda note dans son carnet : « Au travail, les terriens se parlent pour se dire qu’ils s’écrivent. »

 

     L’heure de la sortie arrive. Meluda voit chacun s’activer à ranger ses affaires. Puis, au moment du départ, il les entend se dire, les uns aux autres : « Bonne soirée, à demain ! ».

Meluda suit Max jusqu’au métro, puis jusqu’à son domicile. Il pénètre derrière lui dans la petite maison où ce dernier habite avec son épouse et ses deux enfants. Dès qu’ils passent le pas de la porte, Meluda entend une voix féminine crier de loin :

– T’as pensé au pain ?

Subitement devenu rouge, Max se maudit en geignant :

– Oh non…

– Non… C’est pas vrai ! Ne me dis pas que tu as oublié ! peste la voix féminine qui se rapproche.

Une jeune femme émerge d’un nuage de fumée en provenance de la cuisine. « Elle prépare sûrement une grillade » pense Meluda.

– Bah vas-y ! Bouge-toi un peu ! Lui lance-t-elle, énervée, on ne peut pas faire des croque-monsieur sans pain !

– Vas-y,-toi ! Je vais rater le match sinon… mes potes m’attendent sur l’ordi…

– Non mais c’est pas vrai… dis-moi que je rêve ! s’énerve la femme.

– Et aux geeks ? Tu leurs as pas demandé ? Ils peuvent pas y aller, eux, au supermarché ? C’est bien pour eux que tu fais des croques, non ?

– Damien est sur Skype et Elodie sur Facebook.

– Ah…bon bah…j’y vais alors…

– C’est ça…enfin…si tu tiens vraiment à manger ce soir…

Meluda n’a jamais vu un terrien remettre aussi vite le blouson qu’il vient d’ôter, ni courir aussi rapidement jusqu’à la rue. Il faudra à peine dix minutes à Max, montre en main, pour aller et revenir du supermarché. Il lance le sac de pain de mie sur la table de la cuisine, puis, sans même se déshabiller, se jette sur la manette de sa console, tout en appuyant sur le bouton de mise sous tension.

 

     Ensuite, la soirée se déroule paisiblement, entre les cris et les injures de Max envers l’équipe des joueurs adverses, la voix de sa femme qui fredonne en écoutant ses chansons préférées, un casque sur les oreilles, tandis que leurs enfants, chacun dans leur chambre, échangent avec leurs trois cents amis geek respectifs, leurs impressions à propos du dernier épisode de « Plus cool la life. »

Meluda note scrupuleusement dans son carnet : les petits des terriens ne sont plus appelés enfants mais geeks

Meluda suit ainsi trois autres terriens, chez lesquels il note à peu près des modes de fonctionnement similaires. Il pense avoir fait le tour du sujet « langage et communication » sur terre et rentre donc sur sa planète.

 

MPV

 

 

 

 



04/05/2017
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