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Le voyage / The trip

Homme au désert.jpg

 

 

      Un philosophe de grand renom, réputé sage parmi les occidentaux de sa génération et reconnu de tous, décide un jour de faire une retraite dans le désert du Sahara. Il ne s'explique pas cette idée saugrenue qui lui est apparue subitement comme une évidence, à lui qui n'est pas particulièrement porté sur les voyages. Il faut absolument qu'il aille voir par lui-même là-bas, d'où vient cette pensée admise par nombre de ses compatriotes que dans le silence étonnant, unique, presque magique du désert, tout homme a la sensation de se trouver en présence de Dieu.

  

         Car lui ne croît pas en Dieu, il est athée à cent pour cent et c'est d'ailleurs  cet esprit agnostique qui fonde l'existence et l'argumentation de l'ensemble de ses oeuvres. Mais vers le milieu de sa vie, il éprouve une irrésistible envie - est-ce là un caprice d'homme désenchanté ? - d'être confronté à l'extrême opposé de sa philosophie, à la fois par curiosité, et pour le plaisir un peu pervers de démystifier une légende qui dérange ses convictions. Il décide donc de partir, seul, en expédition. Refusant d'écouter sa famille, ses amis, et tous les professionnels qui trouvent son idée extravagante et totalement irréfléchie, il se munit d'un sac à dos contenant quelques effets personnels, une carte, une boussole, de l'eau et des vivres, et le voilà parti, lui qui ne marche pour ainsi dire jamais et qui a une sainte horreur du sport. Tout le monde pense qu'il est devenu fou mais personne ne parvient à le dissuader de son idée insensée.

 

       Voilà donc notre homme à dos de chameau, contraint de laisser son corps s'adapter à la démarche nonchalante de l'animal, alors qu'il a pour habitude de vivre à cent à l'heure. Il accepte avec philosophie (ce qui, somme toute, est plutôt banal pour un philosophe) de devoir casser complètement son rythme habituel pour entrer dans celui de l'Afrique subsaharienne.  Il est obligé d'admettre qu'en la circonstance, c'est plutôt mieux, étant donnée la température ambiante. La chaleur lui est difficilement supportable, bien qu'il ait pris soin d'enfiler une tunique et d'enrouler sa tête dans un turban, comme le lui a conseillé l'autochtone qui lui a vendu un chameau. « Je ne sais pas si Dieu habite ici, mais en tout cas, ça ressemble plutôt à l'enfer, et présentement, ce n'est pas son existence ou sa non existence qui me préoccupe le plus. Je ne comprends pas qu'on puisse éprouver le désir d'écouter le silence en cet endroit hostile. Mais que suis-je donc venu faire ici ? »

 

       Il a à peine fini de se poser la question qu'il distingue une silhouette, au loin, émergeant d'une espèce de brume de chaleur. « Non... ce n'est tout de même pas un mirage... », se dit-il, commençant à se demander par quelle soudaine excentricité  il a décidé de ce voyage. Il constate très vite qu'il ne s'agit pas du tout d'un mirage mais bel et bien d'un homme de chair et d'os, habillé d'une tunique et d'un turban noirs, assis en tailleur sur une natte, et qui le fixe de ses yeux d'un vert intense, brillants comme deux émeraudes dans un visage buriné par le soleil. Quand il arrive à sa hauteur, il cherche le moyen de se faire comprendre de lui. Il se rend compte qu'avant de venir, il n'a même pas cherché à savoir comment on dit bonjour dans ce pays. Il est donc contraint d'utiliser tout simplement sa langue maternelle et avec étonnement, s'entend répondre dans un français à peine écorché, avec tout de même une petite pointe d'accent :

-          Bonjour ami.

-          Vous comprenez ma langue ?

Sans répondre à sa question, le bédouin lui dit :

-          Ce serait plus facile et plus poli si tu te mettais à ma hauteur.

Confus et vaguement impressionné par cet homme qui lui parle avec autorité mais d'une voix douce, le philosophe descend de son chameau et approche plus près.

-         Assieds-toi, dit l'homme en lui tendant une natte.

-        Non merci beaucoup, répond le philosophe, je voulais juste te demander comment faire pour retourner d'où je viens. Je me suis perdu. Et en lui-même, il ajoute : « Je me demande bien, d'ailleurs, ce que je suis venu faire ici... »

-       Tu es venu chercher ce que tu n'as jamais réussi à trouver dans tes livres, lui dit alors l'homme. Assieds-toi maintenant, prends le temps de parler un peu avec moi, veux-tu ? Tu n'as pas de train à prendre ? ajoute-t-il d'un oeil malicieux.

Ebahi, le philosophe obéit sans un mot et s'installe en face de l'homme.

-          Non, dit soudain l'homme, avec autorité, assieds-toi à côté de moi, et regarde dans la même direction que moi.

Toujours sans un mot, le philosophe obtempère. Une fois qu'il est assis, l'homme lui demande :

-          Que vois-tu devant toi ?

Le philosophe observe quelques instants les collines de sable qui s'étalent à perte de vue. Il a beau scruter chaque centimètre carré, il ne voit rien d'autre. Alors il répond :

-          Je ne vois que du sable.

-          Et bien vois-tu, ami, la différence entre toi et moi, c'est que tu ne vois que du sable et que moi je vois la beauté.

-         ...

-           Qu'entends-tu ?

Le philosophe fixe son attention sur les bruits perceptibles et répond :

-          Je n'entends rien d'autre que le bruit de lavabo de ce chameau qui me casse les oreilles depuis ce matin.

-       Et bien vois-tu, répond l'homme, la différence entre toi et moi, c'est que quand tu ne perçois que les bruits désagréables à ton oreille, moi je les entends comme des notes de musique parmi toutes les notes de musique qui composent la symphonie du monde.  Et dans le silence qui nous entoure, j'entends le chant des anges qui soufflent en mon être une douce mélodie.

-         ...

-          Que sens-tu mon ami ?

Le philosophe gonfle ses narines et répond :

-          Malheureusement, je ne sens rien d'autre que l'odeur d'oeuf pourri de ce chameau qui s'est encore laissé aller...

-          Et bien vois-tu, dit encore le bédouin, là où tu ne sens que les odeurs déplaisantes, moi je sens cette essence divine formée de tous les parfums les plus sensuels concentrés sur cette terre.

-          ...

-          Que goûtes-tu ?

Après toutes ces questions, le philosophe commence à voir où l'homme veut en venir, et cette fois, lui répond :

-          Tu veux sûrement m'entendre dire que je me nourris du pain du ciel et de l'eau de la vie, mais je vais encore une fois te décevoir, je ne pense à cet instant qu'à une bonne lampée d'eau bien fraîche, et celle de mon sac à dos est d'une tiédeur écoeurante.

-          Je ne veux rien du tout mon ami... ce n'est pas moi qui ai décidé, un jour, de quitter le monde moderne pour venir me perdre dans les dunes. Depuis quand marches-tu ?

-          Depuis cinq heures.

-          Seulement cinq heures et tu veux déjà repartir ?

-          Je ne sais pas pourquoi je suis venu... c'était une erreur. Maintenant, je veux rentrer chez moi. Mais avant cela, je voudrais te poser une question.

-          Je t'écoute.

-          Dis-moi pourquoi je n'arrive pas à voir ce que tu vois.

-          Mon ami, pour voir plus loin que la réalité visible, il faut savoir s'arrêter et regarder. Pour saisir le son du silence, il faut savoir s'arrêter et écouter. Pour sentir et goûter les choses, il faut savoir s'arrêter et s'imprégner de l'atmosphère. Arrête-toi de parler maintenant. Ecoute et regarde.

 

Le philosophe se plie de bon gré aux conseils de l'homme. Il se tait et fixe son regard sur le désert. Le soleil est en train de descendre derrière une dune et ses rayons dessinent des halos irisés sur toute la surface du sable, dont les innombrables grains semblent soudain se transformer en pépites d'or. Puis il se met à rougir, à enflammer le ciel et les dunes en même temps. Le spectacle est d'une beauté époustouflante. C'est tellement magnifique que le philosophe en reste bouche-bée et ne prononce plus un mot. À cet instant, le regard perdu dans l'immensité rayonnante, il perçoit au creux de son oreille un son qu'il n'avait encore jamais entendu. Ses narines palpitantes aspirent goulûment un parfum  d'une sensualité extrême, subtil mélange de rose, de jasmin, de musc et d'épices. Son corps tressaille d'un sentiment unique d'harmonie et de toute puissance.

Après quelques instants, l'astre disparaît complètement et la nuit tombe sur les dunes. Le philosophe a toujours le visage fixé droit devant lui mais ses yeux sont clos. Il goûte pleinement la magie de cet instant d'éternité. Alors une voix s'élève près de lui :

-          Voilà ce que tu es venu chercher, mon ami. Où que tu ailles à présent, tu ne l'oublieras jamais plus.

Un sourire illuminant son visage, le philosophe se tourne alors vers l'homme et constate avec stupéfaction et regret qu'il a disparu.

       

Martine  PV

 

   

   A sexagenarian philosopher of great renown, deemed wise among Westerners of his generation and recognized by all, decides one day to make a retreat in the Sahara desert. It does not explain this crazy idea that it suddenly appeared as obvious to him that is not particularly focused on travel. He absolutely must go see for himself there, where does this idea accepted by many of his compatriots in silent wonder , unique, almost magical desert , every man has the sensation of being in presence of God.

  

   Because it does not grow in God , he is an atheist at one hundred percent and this is  agnostic spirit establishes the existence and the arguments of all his works. But towards the end of his life , he feels an irresistible urge - caprice of man disenchanted wall ? - to be confronted with the extreme opposite of his philosophy , both by curiosity and a little perverse pleasure in demystifying a legend that disturbs his convictions . He decided to go alone on an expedition . Refusing to listen to his family, his friends, and all professionals who find the idea outrageous and wholly irresponsible , he armed himself with a backpack containing some personal effects , a map , compass , water and food , and off he goes , he who does not work , if ever , and has a holy horror of sport . Everyone thinks he is mad but nobody manages to dissuade him from his crazy idea .

 

     So our man on camelback , forced to leave his body adjust to the lackadaisical approach of the animal, so he used to live for a hundred miles an hour. He agrees with philosophy (which is pretty normal for a philosopher) to have to break his rhythm completely normal to enter the sub-Saharan Africa .  He is forced to admit that the circumstance was rather better , given the ambient temperature . The heat is almost unbearable to him , although he was careful to don a tunic and wrap her head in a turban , as he was advised that the native has sold a camel. " I do not know if God lives here , but in any case, it is more like hell and now it is not its existence or non- existence that concerns me the most. I do not understand how we can yearning to hear the silence in this hostile place . But what am I doing here ? "

  

   He barely finished asking the question that distinguishes a silhouette in the distance , emerging from a sort of heat haze . " No ... it is still not a mirage , " he said , starting to wonder by what sudden eccentricity  decided on this trip. He soon finds that it is not a mirage but rather a man dressed in a tunic and black turban , seated cross-legged on a mat , and the fixed its bright green eyes , shining like two emeralds amidst a face weathered by the sun. When it reaches its height , he looks for a way to make sense of it . He realizes that before coming, he did not even try to know how you say hello in that country . He is forced to simply use his native language and with astonishment , means responding in a French barely scratched , with still a hint of accent :

-          Hello friend.

-          You understand my language?

Without answering his question , the Bedouin said :

-          It would be easier and more polite if you put up with me .

Confused and somewhat impressed by this man who speaks with authority but in a soft voice, the philosopher comes down from his camel and a closer approach .

-          Sit down , "said the man , handing him a mat.

-          No thank you, "replied the philosopher , I just wanted to ask you how to go back where I come from. I'm lost. And in itself , he adds, "and I wonder , moreover , what I 'm doing here . "

-          You came looking for what you 've never been able to find in your books , then said the man . Sit down now and take the time to talk a little with me . You have no train to catch ? He adds a mischievous eye .

Astonished , the philosopher obeyed without a word and moved in front of the man .

-          No, he means to say, then , sit beside me and looking in the same direction as me .

Still without a word , the philosopher comply. Once he sits , the man asked :

-          What you see before you ?

The philosopher observes a moment the sand hills that stretch out of sight . He might scrutinize every inch , he sees nothing else . So he says :

-          I see only sand.

-          Well you see, friend , the difference between you and me is that you see only sand and I see beauty.

-          ...

-           What do you mean ?

The philosopher fixes his attention on the sounds perceptible and answers:

-          I hear nothing but the sound of this sink camel breaks my ears this morning.

-          Well you see , says the man , the difference between you and me is that when you do not perceive as loud noises in your ear, I hear them like musical notes from all the music notes compose the symphony of the world.  And in the silence that surrounds us , I hear the song of angels blowing in my being a sweet melody.

-          ...

-          What you feel my friend ?

The philosopher inflates his nostrils and replied:

-          Unfortunately I do not feel anything other than the rotten egg smell of the camel that was still left to go ...

-          Well you see, says the Bedouin, where you do not feel that unpleasant odors, I feel this divine essence includes all the most sensual perfume concentrates in this land .

-          ...

-          That drops you?

After all these questions , the philosopher begins to see where the man is driving at this time. He replied :

-          You surely want to hear me say that I eat the bread of heaven and water of life, but I will once again disappoint you, I do not think at this point that a good swig of cool water , and my backpack is a sickening warmth .

-          I do not want anything my friend , this is not me who decided one day to leave the modern world to come and get lost in the dunes . Since when are you walking ?

-          For five hours.

-          Only five hours and you already want to leave ?

-          I do not know why I came , it was a mistake . Now I want to go home. But before that, I would like to ask you a question .

-          I'm listening .

-          Tell me why I can not see what you see .

-          My friend, to see beyond the visible reality, we must stop and look . To capture the sound of silence, we must stop and listen . To feel and taste things , we must stop and soak up the atmosphere. Stop talking now . Listen and watch .

The philosopher bend willingly to the counsels of the man. He falls silent and stares at the desert. The sun is going down behind a dune and its rays emerging iridescent halos over the entire surface of the sand , including the countless grains appear suddenly turn into gold nuggets . Then he begins to glow and ignite the sky and dunes at the same time . The show is a breathtaking beauty . It's so wonderful that the philosopher remains speechless and pronounces a word . At that moment, staring into the vastness radiant , he sees his ear to a sound he had never heard . His nostrils dilated aspire greedily perfume  an extreme sensuality , subtle blend of rose , jasmine, musk and spices. His body trembles with a unique feeling of harmony and omnipotence .

After a few moments , the sun disappears completely and the night falls on the dunes . The philosopher has always face fixed straight ahead but his eyes are closed. He enjoys the full magic of this moment of eternity . Then a voice is heard by him :

-          This is what you came for my friend. Wherever you go now you will not forget ever again.

A smile illuminating his face, the philosopher turned to the man and noted with astonishment and regret that it has disappeared .

       

Martine PV

 

 

 

 



26/08/2015
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