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Réveillon surprise

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RÉVEILLON SURPRISE

 

 

   Quand Rémi a été averti de sa convocation dans le bureau de M. Duvernay, il s’attendait à tout, sauf à entendre ce qu’il est en train d’entendre :

— Vous devez vous demander pourquoi vous êtes ici, Rémi. Je vais aller droit au but. Pas la peine de tourner autour du pot. Vous avez été tiré au sort.

Rémi attend patiemment la suite. Mais visiblement, le directeur de la prison où il est incarcéré a fini de parler, puisque sa voix s’est tue, et que les voilà maintenant plongés depuis plusieurs secondes dans un silence embarrassant.

« Est-ce que je suis censé dire quelque chose, là ? se demande-t-il. Peut-être que je devrais m’étonner de ce tirage au sort et faire mine d’être intéressé… »

— Tiré au sort pour quoi ? se décide-t-il à demander par politesse.

C’est un type bien, Monsieur Duvernay, Rémi n’a rien contre lui. Mais il faut bien admettre qu’en réalité, il n’en a strictement rien à carrer de ce tirage au sort dont il se fout, mais alors comme de l’an quarante, d’en connaître le motif. Comme il se fout de tout le reste, d’ailleurs. Lui, ce qu’il attend avec impatience, c’est la quille. À part ça…

— Vous êtes le cinquième sur la liste. Vous êtes dix en tout.

« Waouh ! Quelle chance ! » ironise Rémi en son for intérieur. « C’est bien gentil tout ça… mais ça ne répond pas à ma question ».

Cette année, nous organisons quelque chose de spécial pour les fêtes de Noël. Nous avons décidé de récompenser dix détenus sans famille, parmi les plus méritants, en leur offrant un réveillon dans une famille d’accueil. Une sorte d’avant-goût de leur futur retour dans la vie réelle, en quelque sorte. Nous avons procédé à un tirage au sort parmi les vingt détenus sélectionnés, et vous êtes le cinquième.

 

   Rémi fixe le directeur d’un air ahuri. Il s’attendait si peu à cette annonce qu’il en reste coi. Lui qui croyait recevoir une semonce pour une quelconque connerie quand il a su qu’il était convoqué… Le tout était de savoir laquelle, d’ailleurs, car lui, il avait plutôt l’habitude de se tenir à carreau. Mais en général, quand un « taulard » est appelé dans le bureau du directeur, c’est pas pour y recevoir des louanges accompagnées d’un bouquet de fleurs…

— Mais bien sûr, il nous faut votre accord, ajoute le directeur avec un sourire jovial, tout en le scrutant de ses yeux marron dans l’espoir évident qu’il réponde oui.

— Euh… ben… oui…d’accord.

— Très bien, voilà qui est fait. Nous verrons plus tard pour les modalités, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Je dois d’abord recevoir vos cinq autres camarades. Je vous reverrai tous ensemble demain après-midi pour vous expliquer en détail l’organisation des choses.

— D’accord. Merci, Monsieur le Directeur.

— Vous me remercierez plus tard, Rémi. Et félicitations à vous !

 

 

   De retour dans sa cellule, Rémi n’en revient toujours pas. Les choses se sont faites avec une telle rapidité qu’il n’a même pas eu le temps de réfléchir à la question. En fait, il a senti une telle célérité dans la voix du directeur, sans toutefois en connaître encore la raison, qu’il n’a pas osé poser de questions. Maintenant, il sait pourquoi le débit de ce dernier était aussi rapide et son air si pressé : il avait encore cinq autres détenus à recevoir. Rémi sait aussi qu’il en saura plus demain, en même temps que tous les autres lauréats de ce bien étrange concours. N’empêche qu’en cet instant, cette entrevue continue à l’obséder. Il savait déjà que ce directeur nouvellement nommé, à même pas deux ans de sa retraite, était quelqu’un d’humain aux méthodes originales, mais de là à ce qu’il ait de telles idées ! Il n’avait encore jamais entendu parler de semblables initiatives. Certes, les prisonniers reçoivent bien régulièrement la visite de membres d’associations diverses, de chanteurs, de musiciens, de comédiens, de coachs, de divers animateurs d’ateliers créatifs, mais jamais encore Rémi n’a entendu parler de permissions de sortie pour motif de réveillon dans une famille d’accueil, offertes à des prisonniers issus de l’assistance publique, comme il l’est lui-même. À cette pensée, il ne peut s’empêcher d’être touché, lui qui n’a pas l’habitude de s’émouvoir à propos de grand-chose. Il doit reconnaître que ce directeur est vraiment un type bien. « Respect, Monsieur Duvernay ! »

 

— Alors, qu’est-ce qu’il te voulait le « dirlo » ? lui demande Mike, son codétenu.

— Oh rien, ça vaut pas le coup d’en parler.

— Tu peux bien me le dire, allez... qu’est-ce que t’as foutu ?

— Ça vaut pas l’coup, j’te dis.

— J’me demande bien ce qui t’a valu une convocation, tiens ! À toi !

— Comment ça, à moi ? Pourquoi ?

— Tu l’sais très bien, mec.

— Comment ça j’le sais très bien ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

— C’que j’veux dire ? C’que j’veux dire c’est que t’es un « lèche-cul » de première. J’espère que t’es pas un « mouton »…

— Quoi ??? Mais ça va pas !!!

— Eh, pas à moi ! Tu fais pas un seul pet de travers, tu t’tiens toujours à carreau, tu fais bien ton petit boulot peinard aux ateliers, toujours parmi les meilleurs. Sans compter les p’tites risettes au « bricard ». Etc, etc.

— Et alors ? Il me reste encore deux mois avant la quille, j’ai pas envie de tout foutre en l’air, c’est tout. Donc, je les mitonne les p’tits « matons ».

— OK, alors pourquoi tu veux pas m’dire c’qui t’voulait le « dirlo » ?

— Parce que ça t’regarde pas, c’est tout ! Lâche-moi la « grappe », maintenant !

Devant le regard noir de Rémi, Mike abandonne enfin.

 « Quel abruti, celui-là ! Si tu crois que je vais te rencarder sur ce que m’a dit le dirlo ! Tu l’sauras bien assez tôt ! Enfin… si les autres sont assez cons pour manger le morceau ! » s’énerve Rémi intérieurement.

 

Au fur et à mesure des jours qui passent et le rapprochent de sa sortie, Rémi se montre de plus en plus prudent, aussi bien avec les « taulards » qu’avec les « matons ». Comme le dit Mike : « Il se tient à carreau », ça c’est bien vrai ! Il la veut sa quille, et plutôt deux fois qu’une ! Hors de question qu’il reste en cabane ne serait-ce qu’une heure de plus que prévu. D’où la nécessité de louvoyer habilement sans trop attirer l’attention. Cette invitation surprise, c’est pas le meilleur moyen, c’est sûr, mais bon… d’un autre côté, cette sortie de « taule » le jour de Noël n’est pas pour lui déplaire. Car même si, ici, les prisonniers sont plutôt mieux traités qu’ailleurs, les réveillons en prison, c’est pas très « funky ».

 

 

Pendant que Rémi cogite dans sa cellule, sa future famille d’accueil discute de son côté des formalités dudit accueil.

— Ça ne va pas être simple, ma chérie, énonce calmement Bertrand à Laetitia, son épouse.

— Pourquoi ? répond cette dernière d’un air surpris.

Jusque là, Bertrand était entièrement d’accord avec cette idée, qualifiée par lui-même de merveilleuse, d’offrir un réveillon à un délinquant repenti bientôt en phase de réinsertion. Du moins était-ce ainsi qu’on leur avait vendu le projet. Mais à présent, il semble vouloir freiner des deux pieds.

Bertrand s’explique :

— Quand nous nous sommes proposés, Laura ne devait pas réveillonner avec nous, rappelle-toi.

— C’est vrai, et alors ? Quel rapport ?

— Non, mais franchement, Laetitia, tu ne vois vraiment pas le rapport ?

— Ben… non. Vas-y, dis-moi.

— Écoute, au départ nous devions être quatre avec les garçons. Laura n’était pas censée être là, tu as oublié ?

— Non, je n’ai pas oublié, je viens de te le dire ! Et alors ? Je te repose la question : quel rapport ?

— Pourquoi Laura vient-elle réveillonner chez nous, alors que ce n’était pas prévu ?

—…

— Allez, vas-y, réponds-moi !

— Mais enfin, c’est ridicule ! Tu le sais aussi bien que moi, pourquoi. Parce qu’elle se retrouve seule alors qu’elle devait réveillonner dans la famille de son petit ami.

— Voilà ! Et ? Et ? Pourquoi ne réveillonnent-ils plus ensemble ? Parce qu’ils se séparent. Et pourquoi se séparent-ils ? Tu veux que je te le rappelle ? Parce que ce fumier lui cognait dessus et qu’il est actuellement en « taule ».

— Pas besoin de me rappeler tout ça, Bertrand, ma mémoire est encore excellente, tu sais. Encore une fois, quel rapport ?

— Par moment, je me demande si tu n’es pas un peu dans ton monde, ma chérie. Tu ne vois vraiment pas le rapport ?

— Ben non.

— Le rapport, c’est que nous nous apprêtons à inviter un prisonnier à notre table, donc quelqu’un qui a commis un acte violent, au même titre que ce salopard s’est montré violent envers notre fille.

— Et alors ? Ça n’a rien à voir. Comme tu le sais, et comme nous l’a bien précisé M. Duvernay, cet homme est un délinquant repenti. Il n’est sans doute pas en prison pour les mêmes raisons que Tim.

— D’abord, ne prononce plus ce prénom devant moi, s’il te plait. Appelle-le « salopard », « pourriture », « fumier », ou de tout ce que tu voudras, c’est tout ce qu’il mérite. Ensuite, on n’en sait rien de ce qu’il a fait, ce prisonnier. Précisément parce qu’on n’est pas censés savoir, c’était l’une des clauses de l’accord. Si ça se trouve, contrairement à ce que tu dis, il a frappé sa femme, lui aussi, qu’est-ce qu’on en sait ? Comment Laura réagirait-elle à ça d’après toi ?

— D’abord, arrête d’extrapoler tout le temps comme ça. Pour reprendre tes paroles, on n’en sait rien de ce qu’il a fait. Et « si ça se trouve », comme tu dis, il a été incarcéré pour toute autre chose. On peut voir les choses comme ça aussi, tu sais… Mais au pire… admettons qu’effectivement il fasse de la prison pour violences conjugales. Puisque Laura n’en sait rien, tout comme nous, qu’est-ce que ça change ? Et puis, il sera là le temps d’une soirée, c’est tout, je ne vois vraiment pas où est le problème.

— Franchement, ça ne te dérange pas, toi, de ne pas savoir si ce type est peut-être du même genre que l’autre, ça ne te ferait rien de partager ton repas avec lui, et tout ça aux côtés de Laura ?

— Mais qu’est-ce tu vas chercher ? Vraiment, Bertrand, tu te compliques trop la vie. Notre monde est déjà rempli de gens toxiques aux intentions malsaines, si en plus tu en vois là où il n’y en a pas, on n’est pas sortis de l’auberge…

— Oui, ben moi je préfère jouer la prudence.

— Donc, si je comprends bien, on n’invite plus cet homme pour le réveillon.

— Je préférerais.

— OK, très bien, dans ce cas, débrouille-toi pour l’annoncer à M. Duvernay, il sera tout à fait ravi !

Laetitia a lancé sa phrase sur le ton de la colère. Or, il se trouve que Bertrand a horreur de mettre sa femme en colère. D’abord, parce qu’il n’aime pas la contrarier, et ensuite, et surtout, parce que les représailles risquent d’être sévères, il le sait. Elle lui gardera rancune pendant des semaines, il la connaît bien.

Il laisse passer un peu de temps, histoire de ne pas trop perdre la face, puis, pour tâter le terrain, s’enhardit à lui demander :

— Comment tu le sens, toi ?

— Arrête Bertrand, tu le sais très bien comment je le sens, depuis le début ! Je trouvais que c’était une excellente idée, très généreuse. Pour une fois que quelqu’un propose quelque chose qui remonte un peu le niveau de cette planète inhumaine, toi tu fiches tout en l’air avec ta foutue parano !

— OK, bon… faisons-le. Faisons comme prévu, on verra bien.

Laetitia fixe son mari d’un œil suspicieux, avant de lui répondre :

— C’est sûr, cette fois ? Tu ne vas pas changer d’avis dans cinq minutes ?

— Sûr. Faisons-le. Mais…j’espère qu’il ne se passera rien de mal.

— Mais non, il ne se passera rien de mal, arrête un peu ! répond Laetitia d’un air excédé, avant de s’éloigner en direction de la cuisine en haussant les épaules.

 

 

Arrive le jour J. Sur le perron de ses hôtes d’un soir, Rémi se tient aux côtés du surveillant chargé de l’accompagner. Lui, l’homme fort, dans tous les sens du terme, lui d’habitude si calme, si maître de lui-même, est tout intimidé à l’idée de rencontrer sa famille d’accueil.

— Prêt, Rémy ? demande le surveillant d’un air jovial en se tournant vers lui.

La gorge nouée, Rémi répond d’un simple signe de tête affirmatif.

— T’inquiète pas, ça va bien se passer, le rassure le geôlier, tout en appuyant sur le bouton de la sonnette.

Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvre sur cinq visages souriants. Ceux des jeunes garçons les dévisagent sans vergogne, sans aucun filtre, à l’instar de la plupart des enfants. Les autres enchaînent immédiatement et poliment par une invitation à entrer, pour ne pas laisser au malaise le temps de s’installer. Madame Servan, une femme d’une cinquantaine d’années, mais qui en paraît dix de moins, plutôt bien conservée, le regarde gentiment de son visage débonnaire, tout en lui indiquant la direction du salon. Bertrand, son mari, la cinquantaine quant à lui bien marquée, la barbe et les tempes argentées, lui apparaît beaucoup plus froid malgré son sourire de convenance. Quant à Laura, leur fille – du moins le suppose Rémi – il la trouve très jolie. Elle doit avoir dans les vingt, vingt-cinq ans, le corps élancé, la taille mince, un visage aux traits fins et réguliers encadré de cheveux bruns, des yeux bleus.

Tous paraissent tout aussi intimidés que lui, c’est presque palpable dans l’atmosphère, comme si en cet instant un nuage d’émotions fortes les enveloppait tous de ses vapeurs mystérieuses. Rémi éprouve en cet instant l’étrange sensation d’entendre les questions que ses hôtes se posent dans leurs têtes : « est-ce que la soirée va bien se passer Est-ce vraiment quelqu’un de fiable, ce type qu’ils ont invité ? » Il le voit dans leurs regards qui, l’espace de deux ou trois secondes, ont démenti leurs sourires joviaux. Il chasse aussitôt ses pensées négatives, en se disant qu’après tout, lui aussi se pose les mêmes questions, ou en tout cas sensiblement les mêmes : « est-ce que ce sont des gens bien ? Ont-ils l’esprit ouvert ? Sont-ils désintéressés ? » Des trois adultes, la plus jeune semble la plus sincère, en même temps la plus décontractée. Il n’a rien remarqué de factice dans son sourire ni dans l’expression des yeux accompagnant le sourire. Il a lu un jour que lorsque l’on a un doute sur la sincérité des gens qui nous sourient, il faut se concentrer sur leurs yeux. Un regard ne trompe pas. Quand le sourire est faux, cela se voit dans les yeux. Et dans le regard bleu azur de cette belle jeune fille, Rémi ne détecte aucun signe qui puisse démentir son sourire lumineux. Non pas qu’il le lise dans ceux des autres membres de la famille, mais il perçoit toutefois en ceux-ci un petit quelque chose… quelque chose d’indéfinissable… quelque chose qui lui dit que ces gens-là vont l’avoir à l’œil toute la soirée, tout bien intentionnés qu’ils soient envers lui.

— Entrez vite, je vous en prie, les invite Madame Servan, il ne fait pas chaud dehors.

« Vous pouvez le dire », acquiesce Rémi en son for intérieur, tout en frottant l’une contre l’autre ses mains rougies. « Quelle idée de ne pas avoir enfilé un blouson chaud avant de sortir ! »

— Pour ma part, ma mission s’arrête là, Madame Servan, répond le surveillant. C’est mon collègue qui reviendra chercher Rémi demain matin, comme convenu.

— Vous êtes sûr que vous ne voulez pas entrer deux minutes pour prendre une boisson chaude ?

— Non, merci beaucoup, c’est très gentil à vous, mais ma famille m’attend pour réveillonner.

— Dans ce cas, je comprends. Joyeux Noël à vous.

— Pareillement, répond le surveillant avec un grand sourire, bon réveillon !

 

   Quelques secondes plus tard, le surveillant est reparti au volant de sa voiture, pendant que Laetitia présente à Rémi chacun des membres de sa famille :

— Moi, c’est Laetitia, et voici Bertrand, mon mari, Laura, notre fille, Tom et Léo, nos garçons. On va s’installer au salon, si vous voulez bien.

Rémi ne sait pas trop quoi leur répondre. Son prénom à lui, ils le connaissent déjà tous, comme ils connaissent sûrement aussi toute son histoire. A-t-il encore quelque chose à leur apprendre de lui ? Alors, les présentations… 

D’un élégant geste du bras, Laetitia Servan l’invite à pénétrer dans le salon où crépite un bon feu de bois.

 « En tout cas, y a pas à dire, ils ont fait les choses bien, se dit Rémi, tout y est ! La cheminée, le sapin entouré de cadeaux, les guirlandes et bougies un peu partout… Et puis cette musique, ces parfums… »

Atmosphère hors du temps… L’impression de ne pas être à sa place. « Est-ce bien moi qui suis là, dans cette maison-témoin de Noël ? Est-ce bien moi qu’on invite à s’asseoir dans un fauteuil en cuir ? Est-ce bien moi à qui l’on est en train de proposer un apéritif ? Moi qui suis en ce moment en train de recevoir les propositions amusées des enfants de jouer avec eux ? Est-ce bien de moi que parlent leurs parents d’une voix confuse ? « Laissez Rémi tranquille, Tom et Léo, laissez-le se détendre un peu, voyons... Pour l’instant, on va trinquer tous ensemble. Plus tard dans la soirée, on fera quelques jeux. »

 

   Les visages sont souriants, les yeux pétillent, de plus en plus depuis qu’ils ont bu un premier apéritif préparé avec amour – dixit Bertrand – par son « adorable » épouse Laetitia. Après quelques minutes d’embarras des uns et des autres, ce qui, somme toute, est assez normal vu les circonstances, l’ambiance s’est détendue au fur et à mesure de la conversation. Rémi se sent maintenant prêt à leur livrer son ressenti :

— C’est vraiment sympa de votre part, de m’inviter comme ça.

— Je t’en prie, répond Laetitia. Enfin… je vous en prie. Oh, et puis zut ! Si on se tutoyait ? Ce serait quand même plus sympa, non ?

Rémi acquiesce immédiatement, même s’il a capté le regard désapprobateur de Bertrand en direction de sa femme.

— Bien sûr que c’est mieux ! confirme Laura, d’une voix enjouée. On n’est pas chez les aristos !

Sa remarque fait sourire tout le monde. Le tutoiement est aussitôt adjugé à l’unanimité.

— En tout cas, je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir invité…

— Ne nous remercie pas, répond Laura, tu sais, pour nous aussi c’est un immense plaisir, et je trouve cette initiative géniale.

— Quand même… c’est le jour de Noël… une fête de famille… et vous invitez chez vous un repris de justice, donc une personne peu recommandable. Vous faites entrer le loup dans la crèche, ajoute-t-il d’un air malicieux.

— Taratata… pas de loup ici ce soir, intervient Laetitia. En ce réveillon de Noël, seulement des gens qui veulent passer ensemble un moment chaleureux et convivial, c’est tout.

— Oui, mais des gens honnêtes et bons, avec un prisonnier qui a…

— Stop ! le coupe Bertrand. Je t’arrête tout de suite. Nous ne savons pas ce qui t’a conduit en prison, et nous ne voulons pas le savoir. Pour nous, ce soir, tu es notre invité et rien d’autre. Tu as accepté de réveillonner avec de parfaits inconnus, parce qu’il te plaisait de passer une bonne soirée dans la joie et la bonne humeur. Alors, profite, mon gars, profite !

Laetitia n’en revient pas. Est-ce le punch qui vient d’avoir cet effet aussi soudain que radical sur son mari ? Toujours est-il que ce dernier vient d’adopter Rémi, de toute évidence. Et après autant de réticences premières, c’est plutôt surprenant !

 

   Après cette intervention amicale de Bertrand, Rémi, qui s’était déjà bien détendu par l’effet du punch de Laetitia, se sent de plus en plus à l’aise. Jusque là il percevait très bien la réticence de son hôte. Il en ignorait la raison, mais il la ressentait dans toutes les fibres de son être. Est-ce l’expérience de la prison qui a lui a donné cette acuité des sens ? Il n’en sait rien, mais dès qu’il a mis les pieds dans cette maison, il a senti que Bertrand était le plus réfractaire des cinq. Peut-être même ce dernier désapprouvait-il sa venue, après tout… Comment savoir ? L’idée de cette invitation venait peut-être de Laetitia… ou de Laura… Ou bien d’elles deux…peut-être que lui n’était pas d’accord… En tout cas, il sent que l’idée vient à présent de recevoir aussi l’adhésion de ce dernier, ce qui n’est pas pour lui déplaire, et même le soulage énormément. Au moins, maintenant, la situation est claire.

 

   Au fur et à mesure de la conversation, Rémi en apprend davantage sur ses hôtes. Bertrand est expert-comptable, à son compte, Laetitia institutrice et Laura traductrice. Cette dernière n’habite pas ici, elle est juste venue pour le réveillon, ce qui semble logique à Rémi, vu l’âge probable de la jeune femme. Il a aussi noté le fait qu’elle n’est pas accompagnée, ce qui laisse supposer qu’elle est célibataire. Tout en se faisant cette réflexion normale et presque automatique du mâle lui-même célibataire en compagnie d’une charmante jeune femme, Rémi se remet lui-même intérieurement les points sur les i : « ôte-toi tout de suite cette idée de la tête, mec, tu es en permission de sortie provisoire, ce soir, ne l’oublie pas. Demain, tu réintégreras ta cellule. Et puis, de toute façon, cette femme est trop bien pour toi ». 

 

 

   Après avoir partagé un apéritif déjà bien copieux, les voilà maintenant attablés pour le repas. Rémi n’en revient toujours pas d’être là. Il ne se souvient pas d’avoir un jour dégusté d’aussi délicieux petits fours. Si le repas est à l’image de ce qu’il vient déjà d’avaler, il se pourrait bien que ce réveillon de Noël soit à marquer à l’encre rouge pétante dans les annales de sa misérable vie…

 

Il ne croit pas si bien dire. Laetitia a vraiment mis les petits plats dans les grands, et ce que contiennent ceux-ci est une véritable tuerie.

— Pas de foie gras, ici, désolée, croit bon de préciser Laetitia. J’ai vu récemment une vidéo sur le gavage des oies, alors j’ai décidé de revoir mes classiques. 

— Pas de problème, répond poliment Rémi, tout me va, vous savez, je serais bien ingrat de faire le difficile. Et puis, ce que je vois là m’a l’air très appétissant.

— Ravioles de Saint Jacques à la truffe blanche, énonce solennellement Laetitia en disposant les petites assiettes dans les grandes.

— Mmm… c’est vous qui avez fait tout ça ?

— Cette partie du repas, oui. Laura m’a aidée pour la suite. Allez-y, mangez avant que ça ne refroidisse. Mais avant, dis-moi, Rémi… tu ne veux vraiment pas me tutoyer ?

— C’est pas ça… répond-il, un peu embarrassé, c’est que… ça me gêne quand même un peu. C’est une question de respect.

— D’accord, je n’insiste pas alors, tu me tutoieras quand tu te sentiras prêt, lui répond Laetitia avec un clin d’œil. Et maintenant, ne laisse pas refroidir cette assiette, car cette fois, tu me décevrais, ajoute-t-elle, faussement fâchée.

— À vos ordres, répond-il en riant, tout en se saisissant de sa fourchette.

Laura le fixe à cet instant de ses beaux yeux bleu azur. Elle est tout sourire. Il trouve qu’elle a un très beau sourire… Il se sent bien en cet endroit. Pour la première fois depuis des mois, voire des années, peut-être même de toute sa vie, il se sent vraiment à l’aise, complètement détendu.

 

   L’entrée terminée, Laetitia déclare à la cantonade que l’heure est venue d’ouvrir les cadeaux.

— Tu veux bien te charger de distribuer les paquets à tout le monde, ma chérie ? Demande Laetitia à sa fille.

— OK, j’y vais, répond cette dernière en se précipitant au pied du sapin, comme si elle n’attendait que ça.

Après quelques minutes, les membres de la famille se sont déjà vu déposer au moins deux cadeaux sur leurs genoux, ou à leurs pieds pour les plus volumineux. Rémi voit maintenant Laura se diriger vers lui. Elle est chargée de deux paquets qu’elle lui tend avec un sourire radieux et le regard plein d’étincelles. Sur le moment, il n’y croit pas. Posant sa main sur son cœur dans un geste de gratitude, il s’étonne, extrêmement ému :

— C’est pour moi ?

— Pour toi.

— Mais je ne m’attendais pas… ça me gêne, je n’ai rien apporté, moi. Je ne sais pas quoi dire…

— Alors, ne dis rien, et prends ces cadeaux, répond Laura, d’un regard attendri. C’est pas grave, tu sais… on se doute bien que tu n’aurais pas pu sortir de prison pour aller tranquillement faire tes emplettes à la supérette du coin, le rassure-t-elle.

Rémi sourit. « Ça, c’est sûr, se dit-il, je me demande déjà par quel miracle je me trouve ici aujourd’hui… »

— C’est vraiment sympa, merci beaucoup, réussit-il à dire, d’une voix enrouée.

« Qu’est-ce qui t’arrive, là, mec ? se moque-t-il de lui-même en son for intérieur. Te voilà tout ramolli aujourd’hui…allez, allez, reprends-toi. Ouvre tes cadeaux, et ne t’en va pas flancher devant ces gens, c’est n’importe quoi ! Tu as trop bu de ce punch, ou quoi ? »

Mais après avoir dépouillé ses cadeaux de leur papier d’emballage, il ne peut empêcher ses yeux de se mouiller. Il a maintenant devant les yeux la panoplie complète de l’œuvre d’Émile Zola : les Rougon-Macquart. Il n’en revient pas. Quelques semaines après avoir été incarcéré, il s’est mis à lire les romans des grands auteurs. Il s’était promis de s’attaquer à ceux d’Émile Zola, en tout cas de quelques-uns des titres disponibles à la bibliothèque, et voilà que les œuvres complètes lui sont offertes sur un plateau et, cerise sur le gâteau, avec un immense sourire. « Mais comment savent-ils ? se dit-il. Ils sont drôlement bien renseignés ! » Le voilà tout retourné. La délicatesse de ses hôtes le submerge d’émotion. Non seulement ils l’ont invité pour le réveillon, mais en prime ils lui offrent un cadeau, et un cadeau de grand prix ! « Mais qui sont donc ces gens ? Viennent-ils d’une autre planète ? »

 

   Les cris joyeux des enfants en découvrant leurs propres cadeaux créent une bienheureuse diversion et détournent l’attention de ses hôtes vers leur progéniture extasiée. Ce qui offre à Rémi l’occasion de reprendre un peu son souffle, et de redonner à son cœur un rythme un peu plus normal. Il n’en revient vraiment pas de ce qui est en train de lui arriver. S’il croyait aux contes de fées, il pourrait penser que ce soir il est en train d’en vivre un. Un vrai de vrai. Et puis, après tout, pourquoi pas ? Il n’y a pas d’âge pour commencer à croire aux contes de fées.

 

   Toute cette soirée de réveillon se révèle être pour Rémi la soirée de sa vie. Pour sûr, il s’en souviendra jusqu’à la fin de ses jours. Ses hôtes sont si gentils, si attentionnés envers lui que pendant quelques heures il en oublie d’où il vient et ce qu’il a fait. Il a un peu perdu la notion du temps et de la réalité. Il a l’impression étrange de faire partie de cette famille depuis toujours, tant ils se comportent avec lui avec simplicité, sincérité et chaleur humaine. Ils lui parlent à lui comme ils se parlent entre eux, et c’est peut-être ce qui le touche le plus.

 

 

   Il est presque deux heures du matin. Les enfants sont déjà couchés depuis plus d’une heure, et leurs parents, fatigués, estiment que le moment est venu pour eux aussi d’aller au lit. Rémi et Laura se retrouvent donc seuls près de la cheminée, où le feu crépite encore.  « La chaleur d’un bon feu de bois, y a que ça de vrai !  se dit Rémi. Et cette odeur ! Je me sens si bien ici ! Je ne suis pas près d’oublier cette soirée ! Et puis me voilà maintenant en très bonne compagnie, que rêver de mieux ? »

 

   Durant sa première heure de présence dans la maison, Rémi a d’abord observé attentivement les uns et les autres, ne leur laissant entendre sa voix qu’avec parcimonie. Puis, au fur et à mesure de la conversation, tout le monde a réussi à se détendre. Chacun a fini peu à peu par laisser tomber ses barrières. Mais Rémi doit bien admettre que la personne qui l’intéresse et même le fascine le plus, c’est Laura. D’abord, il la trouve vraiment très jolie, puis il aime aussi son caractère. Elle a l’air douce, tout en paraissant savoir s’imposer. Il lui faut bien admettre qu’elle l’intimide un peu. Pourtant, il a très envie de la connaître un peu mieux. À plusieurs moments dans la soirée, il s’est surpris à souhaiter qu’ils se retrouvent tous les deux, seul à seule. Et c’est ce qui a fini par arriver. Mais maintenant qu’ils sont assis face à face, elle sur le fauteuil et lui sur le canapé, sans plus aucun témoin, il ne sait comment l’aborder. Il se sent mal à l’aise, tout en se jugeant lui-même ridicule, car il a eu tout le loisir de constater, durant toute la soirée, que Laura est tout sauf quelqu’un de compliqué, de dangereux ou d’inabordable.

— Tu n’oublieras pas d’éteindre le feu avant de monter, ma chérie ? demande Laetitia à sa fille avant d’emprunter l’escalier pour se rendre à sa chambre.

— Non, non, maman, t’inquiète !

— N’oublie pas non plus de montrer sa chambre à Rémi, ajoute Bertrand.

— OK, papa, ce sera fait.

— C’est vraiment incroyable ce que vous faites tous pour moi, fait Rémi, qui vient enfin de trouver un moyen d’engager la conversation avec Laura, après que ses parents ont quitté la pièce. Non seulement m’inviter pour le réveillon, mais m’héberger aussi pour la nuit…

— On n’allait quand même pas te laisser repartir à la prison à pied en pleine nuit par ce froid, répond Laura avec un grand sourire. Surtout habillé comme tu es, d’un simple pull ! Et puis c’était prévu comme ça avec M. Duvernay, de toute façon.

— Tes parents font souvent ce genre de choses ?

— Quel genre de choses ?

— Inviter un parfait inconnu chez eux, comme ça.

— Non, jamais, c’est la première fois. Je t’avoue que ça m’a un peu surprise, d’ailleurs, surtout de la part de mon père, qui est plutôt du genre prudent. Et c’est un euphémisme, tu peux me croire. Je ne sais pas comment ils ont eu vent de cette initiative et surtout ce qui les a décidés à y participer.

— Et moi donc ! Quand le « dirlo » m’a appelé dans son bureau, je me suis demandé ce qui me valait cet honneur. Façon de parler, évidemment, parce que l’honneur d’un « taulard »…Je me suis plutôt demandé quelle connerie j’avais bien pu faire.

— Pourquoi ? Tu en fais souvent ?

— Bah non, justement, le moins possible. Je dois sortir bientôt, alors je me tiens à carreau.

— Dans combien de temps ?

— Deux mois.

— C’est super !

— Oui, j’ai hâte.

— Tu veux savoir pourquoi j’ai fait de la prison ?

— Non. Tu as entendu ce que mon père t’a dit ? On n’a pas à le savoir. Et je trouve qu’il a raison.

— OK pour ton père, mais toi, tu n’aimerais pas savoir ?

— Non, pour quoi faire ?

— Je sais pas… comme ça… pour me connaître mieux.

— On ne définit pas une personne d’après ses actes d’hier, mais en fonction de ce qu’il est aujourd’hui.

— Oh ! Joli, ça ! C’est vrai, tu as raison. Bon, ben, si tu ne veux pas savoir, je ne dis rien, alors…

— C’est ça, répond Laura avec un clin d’œil. Raconte-moi plutôt ce que tu faisais avant, si tu veux.

— Ben… tu sais… je n’ai pas vraiment eu le temps de faire grand-chose. Je suis un enfant de la D.A.S.S. Déjà au centre d’accueil c’est pas terrible, mais c’est pire quand tu atteins la majorité, parce que là, tu dois te débrouiller pour entrer dans la vie active. Et je peux te dire que c’est pas simple. Personne pour t’épauler, te prêter de l’argent… tu dois te débrouiller tout seul. Et c’est là que tu fais de mauvaises rencontres, des gens qui sont prêts à te prêter des tunes, oui, c’est sûr, mais moyennant quelques petits services pas très catholiques, si tu vois ce que je veux dire. Puis un délit en amenant un autre… Enfin tu vois.

— Je vois, oui… Mais c’est fini tout ça, maintenant, non ? Tu vas repartir sur de bonnes bases. J’ai appris que tu as préparé un diplôme pendant ton incarcération, c’est super !

— Oui, j’ai bien eu le temps pour ça, répond Rémi avec un demi-sourire.

— Tu veux devenir interprète, c’est bien ça ?

— C’est bien ça, je vois que tu es bien renseignée.

— Tu sais, nous on n’a pas demandé à savoir, on nous l’a dit d’office.

— Un peu pour vous vendre l’idée, c’est ça ?

— Sûrement…reconnais quand même que c’est une bonne idée.

— Je le reconnais. Une très bonne idée, même. D’autant qu’elle m’a permis de te rencontrer… Et toi, tu fais quoi dans la vie ?

— Je suis traductrice.

— Non, c’est pas vrai… on navigue sur la même mer, alors…

— Tiens, c’est joli, ça aussi ! Toi aussi tu aimes bien jouer avec les mots, répond Laura avec un sourire ravi.

— Dis-moi la vérité, c’est toi qui m’as choisi sur la liste des prisonniers retenus pour l’aventure, après avoir découvert le métier que je prépare ?

— Absolument pas. Comme je te l’ai dit, nous ne savions rien de toi, pas plus ce qui t’a valu de la prison que ce que tu y fais de tes journées. Et d’ailleurs, moi je n’ai rien à voir là-dedans, ce sont mes parents qui se sont occupés de tout. Je ne devrais pas être là, normalement, tout était déjà organisé avant que je ne décide de venir réveillonner avec eux.

— Eh bien…le hasard fait bien les choses…

— On peut le dire, oui, répond Laura, avec un si doux sourire que Rémi en est complètement perturbé.

— Mais dis-moi… si ce n’est pas indiscret…tu devais réveillonner où, à la base ?

— C’est une longue histoire…disons que parfois les circonstances de la vie nous obligent à changer nos projets.

— Tu ne veux pas me répondre…excuse-moi, je suis peut-être indiscret.

— Non, non, pas de problème, je vais te le dire…

— …

— Je devais réveillonner avec un ami. Enfin, plus exactement, mon ami. Je veux dire : mon petit ami. Enfin, tu vois…

— Ton mec, quoi !

— C’est ça.

— Et ?

— Et…disons qu’il avait la main un peu leste.

Rémi fixe Laura avec attention. La jeune femme a changé complètement d’expression. Elle est toute blanche. Son regard humide et le tremblement de ses mains trahissent l’immense émotion qui est en train de la submerger.

— Il te frappait ?

Laura répond par un hochement de tête accablé.

Pris d’une irrésistible envie de la réconforter, Rémi tend sa main vers la jeune femme, sa paume dirigée vers le haut, pour l’inviter à y déposer la sienne. Ce qu’elle va faire spontanément, tout en retenant ses larmes. Rémi referme délicatement ses doigts épais sur ceux de la jeune femme, eux-mêmes longs et fins. Pendant plusieurs secondes, Rémi et Laura restent immobiles, les yeux dans les yeux, silencieux. Seuls leurs regards se parlent. Celui de Laura est voilé par une profonde tristesse. Celui de Rémi est d’abord empreint d’une immense compassion, comme jamais il n’en a encore éprouvé pour qui que ce soit avant ce jour-là, puis, de quelque chose de plus subtil, de plus intime… Dès que leurs mains se sont touchées, chacun d’eux a ressenti en tout son être quelque chose d’étrange et d’indéfinissable. D’inattendu. De mystérieux. De fulgurant. Presque de miraculeux. C’est en tout cas ce que se dit Rémi pendant une fraction de seconde. « Serait-ce ce qu’on appelle le coup de foudre ? » se demande-t-il, le regard un instant ailleurs, même si dans les faits il n’a pas quitté la jeune femme des yeux. Mais dès qu’il reprend ses esprits et qu’il est de nouveau bien présent à elle, il sait, instantanément, que la réponse est « oui ». Révélation instantanée, évidente, indubitable. Confirmée par la vibration de tout son être, comme s’il venait de se métamorphoser en arbuste feuillu soudain secoué par le souffle intense d’une bourrasque. Et elle ? L’a-t-elle ressenti aussi ? Elle, noyée en ce moment sous les flots tumultueux d’un chagrin débordant. En cet instant, il le voudrait tant ! De toute sa vie, il n’a jamais désiré quelque chose, ou plutôt quelqu’un, avec une telle intensité. Il n’en a jamais exprimé intérieurement le vœu avec une telle ferveur : « pourvu qu’elle ressente ce que je ressens ! » 

 

   Laura reste tête basse pendant de longues secondes. Elle est toute crispée dans un effort désespéré pour retenir ses larmes. Puis elle se redresse enfin pour lui offrir de nouveau son regard. Et là, en une fraction de seconde, il sait. Il le voit, le ressent. C’est comme si des volutes d’étincelles étaient en ce moment même en train de serpenter élégamment entre leurs regards croisés.

 

   Après un réveillon inoubliable, Rémi va réintégrer la prison, comme prévu. Il va retrouver sa triste cellule, ses activités monotones et les bavardages énervants de son codétenu, mais rien ne sera plus jamais pareil. Parce que la lumière qui vient de s’éclairer en lui va tout changer autour de lui.

 

   À présent, Laura vient régulièrement lui rendre visite au parloir, en attendant sa sortie et leurs retrouvailles définitives, pour le commencement d’une histoire d’amour ordinaire, mais unique, cadeau précieux d’une rencontre improbable, mais magique.

 

 



02/11/2021
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