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Le repentir d'Ours-Saint

 

 

   Ours-Saint était né un matin d’hiver dans la forêt des songes. Il avait deux particularités, l’une acquise dès les premiers jours de sa naissance, et la deuxième au fil du temps et des circonstances, laquelle lui valait d’ailleurs ce surnom de Ours-Saint.

 

   La première particularité était qu’il avait toujours soif. Matin, midi et soir, nuit et jour, il avait soif. Même lorsqu’il venait à peine de boire, il avait encore soif. Il n’était jamais rassasié. Ce manque permanent était très vite devenu une addiction aussi douloureuse qu’aliénante, autant pour lui que pour tous ceux qui avaient le malheur d’attirer son regard. Car n’étant pas toujours proche d’une source d’eau, il avait trouvé un stratagème pour pouvoir étancher sa soif à tout moment de la journée. C’était devenu une raison de vivre pour lui, plus que cela encore, une habitude de vie, un réflexe. Il n’en était pas conscient, car ce manque viscéral avait sa source dans ses premiers jours de vie.

 

   En effet, sa mère ne lui avait pas témoigné l’attention et l’affection normalement dévolues à un ourson. Ours-Saint était donc ce que dans la société des hommes on appelle un ours mal léché. Ce qui seyait d’ailleurs bien à son nom, que certaines victimes de sa ruse entendaient maintenant comme « oursin », c’est-à-dire hérissé de piquants acérés et venimeux. Pour quelque raison obscure dont elle seule connaissait le secret, sa mère ne lui avait jamais témoigné la moindre affection. Il en avait pleuré, pleuré, pleuré, toutes les larmes de son corps, longtemps, longtemps… tentant vainement d’attirer son attention. Il avait tant et tant pleuré, que cela avait un jour éveillé en lui une crainte totalement irraisonnée : son corps perdait tellement d’eau à travers ses larmes qu’il allait très vite être déshydraté. Il fallait donc qu’il compense en buvant beaucoup. Mais il ne pouvait rester vingt-quatre heures sur vingt-quatre près de la rivière ou de la cascade ! Un jour lui vint une idée qu’il trouva lui-même géniale. Il était accompagné en permanence par des amis, des voisins, des connaissances, car il était unanimement apprécié et respecté. D’où son surnom de « Ours-Saint ». Car pour les mêmes tristes raisons qui le faisaient souffrir de polydipsie, il avait pris l’habitude, depuis tout petit, de concentrer toute son intelligence et toutes ses forces à approcher le plus possible de la perfection. Ainsi sa maman finirait-elle peut-être par s’intéresser à lui… Mais cela n’avait malheureusement eu aucun effet sur elle. En revanche, aux yeux des autres, de tous les autres, il était devenu un ours bon et compatissant, sympathique, gentil et drôle, qui inspirait confiance, respect et gratitude. Il avait vraiment toutes les qualités. C’était un Saint.

 

   Sauf peut-être, après quelque temps, aux yeux de certains et certaines de ses victimes minutieusement choisies pour remédier à son problème. Car son idée de génie était d’en faire pleurer quelques-uns, suffisamment pour étancher sa soif de leurs larmes. Il le faisait toujours avec beaucoup de délicatesse et sans jamais risquer d’entacher sa réputation d’Ours-Saint. Pour approcher ses victimes, il faisait patte de velours et s’armait de son plus beau sourire, un sourire ravageur auquel peu d'entre eux résistaient. Il les hypnotisait de son doux et pénétrant regard, les endormait sous ses tendres grognements, puis, au moment opportun, portait ce coup fatal, en mots et gestes savamment choisis, qui plongeaient ses victimes dans une grande souffrance et leurs arrachaient des torrents de larmes dont il pouvait ensuite s’abreuver ardemment. Il fit cela pendant quelque temps, sans en éprouver nul sentiment de honte ni même de malaise. Il lui fallait assouvir un besoin vital pour se sentir bien lui-même et lui ne voyait pas ses amis comme des victimes de sa duplicité, mais comme un moyen de ne pas sombrer.

 

   Seulement ce qu’il n’avait pas prévu, c’est qu’en versant des larmes, ses proies consentantes se délaissaient en même temps de toute leur amertume, que lui-même ingérait au quotidien et en grande quantité. Après quelques jours, toutes ces amertumes mélangées s’était transformées en un poison dangereux qui était en train d’envahir tout son corps et investissait peu à peu son cerveau, ses organes, son sang, ses os et ses cellules. Il se sentait de moins en moins bien. Il était moins joyeux qu’avant, avait moins d’entrain, avait souvent l’air triste et contrarié, voire en colère. Il finit même par devenir irascible. Peu à peu, ceux qui aimaient sa compagnie auparavant commencèrent à l’éviter. Ils prenaient conscience de leur malaise en sa présence et, phonétiquement parlant, entendaient maintenant son nom comme « oursin », hérissé qu’il était de piquants acérés. L’amertume qu’il avait aspiré de ses victimes, revenait dans ses piques comme une arme puissante, mais parfaitement visible cette fois, même à ses propres yeux.

 

   Car il finit par le réaliser lui-même et s’en désola profondément. Sans pouvoir se l’expliquer, il ressentait maintenant en lui-même toute la peine qu’il avait infligée aux autres sans en être réellement conscient, et cela le plongea dans un abîme de désespoir et de honte. Il se sentait perdu, ne savait plus comment faire et se mit à déambuler dans la forêt, seul et sans but.

 

 

 

 

 

 

 



06/09/2022
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