La marguerite et les roses
Une marguerite dansait joyeusement dans le zéphyr printanier. Le destin l’avait fait pousser juste à côté d’un beau jardin de roses, dont n’elle était séparée que par un fin grillage. Quelle chance de vivre ici ! ne cessait-elle de se dire. Surtout lorsque le vent soufflait dans sa direction et qu’alors elle pouvait humer avec délice le parfum enivrant de ses belles voisines !
La marguerite vivait dans l’ombre des roses, car elle était beaucoup plus petite qu’elles. Mais quand le vent faisait pencher ces dernières un peu plus, alors les rayons du soleil arrivaient jusqu’à elle et lui réchauffaient le cœur. Et la marguerite riait ! Riait ! Que la vie lui semblait belle !
Le destin m’a vraiment fait un fabuleux cadeau en me faisant pousser juste à côté de ces jolies princesses ! se disait chaque matin la marguerite, tout en ouvrant sa corolle. Le seul bémol dans tout cela était que la petite fleur des champs était timide. Elle n’avait jamais osé aborder les roses, se croyant indigne d’elles. D’ailleurs, ces belles dames aux royales collerettes fuselées et finement ourlées avaient-elles seulement remarqué sa présence, elles qui étaient toujours fièrement dressées en direction du soleil ? Un jour pourtant, elle éprouva l’irrésistible envie de leur témoigner sa profonde gratitude. Oui, les remercier. Simplement d’exister. De lui offrir à elle, petite fleurs des champs, la merveille de leurs couleurs et de leurs parfums. Et c’est ce qu’elle fit de sa voix fluette.
— Merci beaucoup, lui répondit la rose la plus proche d’elle, se faisant ainsi la porte-parole de toutes les autres. Tu es très jolie, toi aussi. Tu nous enchantes de tes jolis pétales de neige. Quand le soleil darde ses rayons sur ton cœur, c’est comme un mini soleil qui clignote pour nous. Comme un clin d’œil du destin qui nous dit : « tout ira bien ».
Toute rougissante comme un coquelicot, la marguerite répondit :
— C’est vrai ? Vous m’avez remarquée ?
— Mais bien sûr ! Nous ne voyons même que toi, depuis quelques jours. Tu es notre ancre d’espoir. Notre phare dans la brume. Notre ange gardien.
— Votre ange gardien ? Mais… comment ça ? Pourquoi ? Je ne comprends pas…
— Ne sais-tu donc pas ?
— Non… quoi ? Que suis-je censée savoir ?
— Eh bien… notre présence ici n’est pas fortuite. Mes sœurs et moi nous sommes semées, arrosées, taillées, cultivées uniquement pour être coupées puis vendues un jour par les fleuristes, à l’occasion des fêtes. La fête des mères, celle des grand-mères, la St Valentin, etc. Certaines d’entre nous sont vendues fraîches, d’autres sont congelées pour être commercialisées en hiver. Nulle d’entre nous n’en connaît le jour ni l’heure. Nous vivons avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos pétales.
Pendant plusieurs secondes, la marguerite resta muette. Elle ne savait plus quoi dire. Puis, retrouvant l’usage de la parole, elle répondit à la rose d’une voix émue :
— C’est si triste…
— C’est vrai, c’est triste, je ne peux pas te contredire. Mais c’est ainsi, c’est notre destin. Nous ne savons quel jour ni à quelle heure nous serons enlevées à notre tour, mais l’un de nos plus grands plaisirs sur cette terre est de te regarder vivre et clignoter pour nous, jolie marguerite des champs. Toi qui vis en toute liberté sans crainte du lendemain. Toi qui vis vraiment ta vie de marguerite. Ta joie de vivre nous enchante. Elle nous fait rêver. Alors, s’il te plaît, fais-nous une faveur : continue de danser et de clignoter pour nous, tu veux bien ?
Tout émue, la marguerite courba sa tige et pencha sa collerette vers le sol en signe d’assentiment. Puis, tout en se redressant, elle sentit son cœur se gonfler de joie et de reconnaissance. Ainsi, maintenant elle savait enfin pourquoi elle existait, pourquoi elle se trouvait en cet endroit précis, à cette heure précise. D’une voix enthousiaste, elle répondit à la rose avec un grand sourire :
— Oui ! Bien sûr ! Oui ! De tout mon cœur je vais clignoter pour vous !
Nul ne sait quelle plaie du cœur recèle la beauté d’une apparence ni quelle merveille attend d’être révélée dans un être qui se croit oublié.
Aimons la vie qu’il nous est donné de vivre, et pour un instant, chaque instant, faisons le choix d’être heureux.
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