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L'exode

   

 

     Un ban de poissons décida un jour de se réunir en assemblée pour discuter des graves problèmes à l'ordre du jour. Ils en avaient assez des turpitudes des humains qui balançaient n'importe quoi dans leur rivière. Leur eau si claire autrefois, était devenue trouble et nauséabonde. Ils n'arrivaient plus à respirer correctement. Il y avait une telle concentration de gaz toxiques en elle que les plantes aquatiques avaient purement et simplement disparu, après avoir perdu peu à peu leur belle couleur verte. Malheureusement, nos pauvres poissons ne pouvaient rien y faire. Ils n'eurent d'autre choix que de s'exiler, décision prise à l'unanimité par vote en bonne et due forme.

 

 

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     Ils partirent donc un beau matin, tous ensemble. Ils nagèrent sur des kilomètres et des kilomètres. Ils furent obligés de constater que partout, partout, c'était la même désolation. Les eaux étaient vaseuses et dégageaient une odeur chimique qui agressait leurs branchies. Les plus âgés et les plus faibles d'entre eux succombèrent sous l'effort qu'ils devaient faire pour avancer, déjà affaiblis qu'ils étaient par le manque d'air. Certains autres, désespérés de n'entrevoir aucune issue à leur problème, baissèrent les bras. Alors, leurs nageoires refusèrent d'obéir, leurs écailles pâlirent, et ils finirent par mourir. 

 

 

     Les moins sensibles parvinrent jusqu'au fleuve et là, en ce lieu où étaient alignées des usines polluantes, ce fut pire encore. Ils se retrouvèrent à respirer directement des phtalates, nitrates, pesticides, sels d'aluminium et bien d'autres poisons... Les plus vaillants survécurent malgré tout. Mais les poissons ne furent plus qu'une poignée d'individus épuisés lorsqu'ils parvinrent à l'océan. 

 

 

 

poissons morts.jpg

   

 

 

     Quelques centaines de mètres avant d'arriver, ils ressentirent à la fois  une désagréable sensation de picotement qui fit se hérisser leurs écailles, et une autre difficulté à respirer, différente de celle qu'ils avaient dû endurer jusqu'alors. Ils avaient l'impression de se retrouver dans une atmosphère totalement différente. Ils se sentaient dans un autre monde... Ils ignoraient alors qu'ils nageaient à présent en eau salée.

 

    Sur leur route, ils rencontrèrent plusieurs autres bans de poissons qui eux, semblaient heureux de vivre là, en tout cas plus heureux qu'eux-mêmes ne l'étaient...

 

 

 

poissons.jpg

 

 

 

Ces derniers les dévisageaient avec une insistance grossière, des regards méprisants ou apeurés. Pourtant, ils n'avaient rien fait de mal, ils n'étaient qu'une poignée de pauvres hères ! Pas de quoi faire peur à qui que ce soit ! Mais ce qu'ils ignoraient, c'est qu'au fur et à mesure de leur avancée dans les eaux océaniques, les autochtones s'inquiétaient de plus en plus de leur présence étrangère, et avaient même commencé à s'organiser pour discuter du sort à leur réserver. Fallait-il accepter leur présence dans leurs eaux ? Les héberger ? Les aider ? Ou les renvoyer d'où ils venaient ?  

 

Comme si l'eau appartenait à qui que ce soit en ce monde ! 

 

     Les poissons de l'océan échangèrent longuement et ardemment sur le sujet. Certains d'entre eux, parmi les plus hospitaliers, proposèrent d'héberger quelques poissons d'eau douce au doux creux de leur maison-corail. D'autres perçurent ces derniers comme une menace, se défendirent de les recevoir, tout en proférant des critiques acerbes à leur encontre : "On n'a pas idée, aussi, pour un poisson de rivière, de vouloir habiter avec les poissons de mer !" Ils n'ont pas les branchies qu'il faut pour vivre en eau salée ! Pourquoi donc ne sont-ils pas restés chez eux, à la rivière ?"

 

     Pour nos pauvres poissons d'eau douce, qui avaient bravé tant d'obstacles pour arriver jusque là, ce fut vraiment très dur. A l'épuisement du voyageur et au désespoir d'avoir perdu nombre des leurs, s'ajouta le découragement et la tristesse du rejet dont ils faisaient l'objet. Ils élurent un des leurs pour plaider leur cause auprès du peuple des poissons de mer, mais la majorité de ces derniers avaient d'ores et déjà décidé que ce n'était pas leur problème. Après tout, ce n'était pas eux qui avaient pollué les rivières, les fleuves et les lacs ! D'ailleurs, eux-mêmes commençaient aussi à en ressentir les effets, de cette pollution... Eux aussi voyaient leurs populations mourir à petit feu par la faute des déchets toxiques peuplant les mers et les océans... Eux aussi trouvaient de moins en moins à manger, et la nourriture était de plus en plus malsaine. S'ils partageaient le peu qu'ils avaient, que leur resterait-il ? 

 

     Les poissons de rivière ne savaient plus que penser, que faire ni où aller. Ils invoquèrent alors leur guide spirituel, l'ange des animaux marins, auquel ils demandèrent conseil. Et voici ce qu'ils reçurent comme réponse :

 

"Il faut revenir à la source du mal et l'éradiquer. Aucune autre solution n'existe, car chaque organisme vivant a sa place déterminée dans l'univers. Ne pas respecter cette organisation, même en un seul point précis, revient à déséquilibrer l'ensemble. Alors, en pensée, remontez jusqu'à la source du mal, qui se trouve toute entière dans les pratiques égoïstes et irresponsables de l'humain, quand il pollue impunément les fleuves et les rivières, par avidité et cupidité. Convainquez-le du caractère nocif de ses actes. Démontrez-lui qu'au bout de la chaîne, lui-même devient sa propre victime. Si vous parvenez à votre but en réussissant à le persuader, ce sera pour vous et pour le monde entier, le début d'une nouvelle ère, une ère que vous n'aurez de cesse de nommer paradis. Car vous retrouverez votre place, celle de votre premier amour, au milieu des plantes aquatiques qui jadis peuplaient vos rivières. Vous serez de nouveau vous-mêmes, heureux de vivre."

 

 

 

poissons en eau claire.JPG

 

     Les poissons fatigués écoutèrent religieusement et, de nouveau remplis d'espoir, retrouvèrent leurs forces et partirent aussitôt en croisade. Ils allaient tout mettre en œuvre pour convaincre la société des hommes. Leur survie en dépendait. La survie de toutes les espèces en dépendait. La survie du monde entier en dépendait... Et tout au bout, leur paradis les attendait, les appelait...

 

 

 

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03/10/2015
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