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Moqui et Moquo

     Un matin, dans une contrée lointaine, là où les rayons du soleil sont des épées flamboyantes qui désintègrent tout ce qu'elles touchent, deux ennemis se rencontrèrent à l'oasis où ils venaient régulièrement puiser leur eau. Ils se connaissaient depuis l'enfance et se détestaient depuis toujours. Ils étaient aussi orgueilleux, aussi entêtés, aussi avides et égoïstes l'un que l'autre, et chaque fois qu'ils se croisaient, ne manquaient jamais une occasion de se moquer l'un de l'autre. Ce qui, dès leur plus jeune âge, leur avait valu les surnoms de "Moqui et Moquo".

Moqui attaqua le premier en invectivant Moquo :

- Que fais-tu là, crâne de noix de coco ?

- Comme tu vois, ouistiti dégarni, la même chose que toi, rétorqua Moquo. Cette oasis serait-elle donc ta propriété personnelle ? Où donc as-tu planté la serpillère qui te sert de drapeau ?

- "Elle ne m'appartient pas encore, non, mais cela ne saurait tarder", répondit Moqui pour lui-même, d'une voix si ténue qu'évidemment, Moquo ne l'entendit pas.

-  Peux-tu répéter s'il te plaît ? Je n'ai rien entendu, avec ta petite voix de sauterelle.

 

     Moqui ne répondit pas et, lentement, calculant bien ses gestes pour mieux impressionner son adversaire, se pencha vers l'eau de la source pour s'en asperger le visage avec un long soupir d'aise, échauffé qu'il était par la longue traversée du désert qu'il venait de faire. Ne voulant pas paraître mendier la réponse de son ennemi juré, Moquo en fit autant. Après quelques minutes de virulentes éclaboussures visant à atteindre l'autre sans en avoir l'air, Moqui s'adressa de nouveau à Moquo :

- Vois-tu ce beau visage qui se reflète dans l'eau ? Lui demanda-t-il en parlant de lui-même.

Comme Moquo ne répondait pas, Moqui répéta sa question :

- Le vois-tu ?

Agacé, Moquo répondit alors :

- Oui, je le vois très bien, il fait des creux et des bosses et il est tout ridé. Tiens, le voilà qui se déforme encore plus, ajouta-t-il tout en brassant furieusement l'eau de ses deux mains.

- Tu peux le déformer à ta guise, mon bon ami, mais un jour, ce visage sera déployé en étendard.

- Ah oui ? Explique-moi donc pourquoi et comment.

- Je vais te le dire : je deviendrai le maître tout puissant de toute cette contrée, fit Moqui en désignant de ses deux bras grand ouverts le paysage qui les entourait.

- La belle affaire ! Tu seras le maître des scorpions et des serpents ! Félicitations ! Quelle belle carrière ! Comme je t'envie !

- Comme le disait mon père, tu n'as pas grand chose dans le cerveau, mon pauvre ami... Et tu riras moins quand je serai devenu riche, tandis que tu croupiras encore dans ton étable. Dans la vie, il ne faut pas se contenter de ce qui est visible, il faut aussi chercher à conquérir l'invisible. Et l'invisible, présentement, sais-tu ce que c'est ? Non, évidemment... Et bien je vais te le dire. Il y a autour de nous, sous ce sol ingrat, un or noir qui peut me rendre riche et célèbre. Et je compte bien l'exploiter.

- Ah oui ? Répondit Moquo, d'une voix moqueuse mais intéressée. Et comment comptes-tu t'y prendre, avec tes 40 kilos tout mouillé, ta gourde et tes trois chameaux ?

- Fort heureusement pour moi, mon pauvre ami...

- Arrête de m'appeler ton ami, je ne suis pas ton ami ! Le coupa Moquo, furibond.

- Pourquoi cette colère ? Je ne m'apprêtais qu'à énoncer une vérité depuis toujours : tu es certes plus grand et plus fort que moi mais tu as une cacahuète à la place du cerveau. Quant à moi, j'ai bien réfléchi à l'affaire... il est certain que seul, je n'arriverai à rien. Mais il me suffit d'embaucher quelques centaines d'hommes qui travailleront pour moi et le tour est joué !

- Excuse-moi, oh grand savant, mais... avec quoi comptes-tu payer tes centaines d'hommes ? Avec des sacs de sable ?

- Qui te dit que j'ai l'intention de les payer ?

- Ha ha ha ! Parce que tu crois que même un seul homme consentira à travailler pour toi sans être payé ?

- Bien sûr, des centaines même. Tu veux parier avec moi ?

- Et comment comptes-tu t'y prendre pour les convaincre de travailler pour toi, juste pour l'honneur ? Je suis curieux de le savoir.

- Tu n'as décidément aucune imagination... répondit Moqui d'un air condescendant. Il suffit tout simplement de leur dire qu'ils le feront pour Dieu et cela passera comme une mangouste dans le cou d'un serpent.

Comme Moquo restait dubitatif, Moqui ajouta :

- Je leur dirai que dans un premier temps ils devront accepter de vivre de fruits et d'eau, qu'ils les trouveront ici, dans cette oasis, puis quand nous auront foré les premiers puits, ils deviendront riches avec moi et pourront accéder à ce paradis auquel ils aspirent.

- Comment ça, l'eau et les fruits qu'ils trouveront ici ? Mais il n'y en aura pas assez pour autant de monde ! Nous sommes déjà nombreux à nous approvisionner ici...

- Vous pourrez continuez à puiser l'eau ici, toi et tes amis, mais vous devrez me payer en pièces d'or pour cela.

- Comment ça, te payer en pièces d'or ? Crois-tu donc que cette oasis t'appartient ? Tsss... Tu délires "MON AMI" ! Et puis d'ailleurs... Tu comptes partager ton argent avec eux ? Toi ?

- Non mais tu es vraiment plus stupide qu'un âne... bien sûr que non, je n'ai pas l'intention de partager mes gains ! C'est seulement ce que je leur dirai !

- Et tu penses qu'ils ne vont pas réclamer leur dû ? Et se révolter si tu le leur refuses ?

- Bien sûr que non ! N'est-ce pas une loi de Dieu que de se soumettre à ses représentants ?

- Ah parce qu'en plus, tu te donnes le titre de représentant de Dieu ? Remarque, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, c'est sûr... Mais comment feras-tu pour les convaincre que tu en es un ? Parce que, en ce qui me concerne, tu pourras bien déployer tous tes artifices et tous tes discours, ce n'est pas demain la veille que je me soumettrai à ta sainte divinité ! Répliqua Moquo, mettant dans le pli dégoûté de sa bouche tout le mépris que son ennemi mégalomane lui inspirait. Et donc, comment comptes-tu faire ?

- Tu veux tout savoir, toi, incorrigible mécréant... répondit Moqui sur un ton rigolard. Tu verras bien, c'est mon affaire !

A cet instant même, fut close la discussion. Moqui et Moquo s'en retournèrent chacun dans une direction différente, l'un avec la tête remplie de rêves de pouvoir et de toute puissance, et l'autre de son mépris et de sa jalousie.

 

       Quelques jours plus tard, Moqui et Moquo se rencontrèrent de nouveau à l'oasis. Quelle ne fut pas la surprise de Moqui, en arrivant avec ses cent ouvriers, de découvrir Moquo accompagné, lui aussi, de cent personnes armées de bâtons. C'est que, de son côté, ce dernier s'était dit qu'il n'allait pas rester ainsi, les bras croisés, à se laisser détrousser par un freluquet haut comme trois pommes qui se prenait pour un sultan. Les deux hommes se toisèrent quelques instants, puis ce fut Moquo qui, cette fois, parla en premier :

- Alors ? Et maintenant ? À qui doit-on verser le tribut ?

Les yeux pleins de hargne, Moqui n'en perdit pas pour autant son orgueil démesuré et sans s'émouvoir répondit :

- D'accord, pour cette fois tu as gagné, mais je reviendrai avec une armée, et là, on verra bien qui aura le dernier mot.

- Tu as des rêves, "mon ami", c'est bien... j'attends de voir comment tu vas les réaliser.

À ces mots, toute l'assemblée des hommes armés de bâtons se souleva d'un grand rire, qui mit Moqui au comble de la fureur.

- Sache que j'ai un grand pouvoir et une grande force, tonna Moqui d'une voix de stentor, le pouvoir de mes mots et ma force de conviction. Je vais soulever des armées dans le monde entier et je reviendrai.

- Et comment comptes-tu faire après ? On peut savoir ? Ou peut-être est-ce un secret que tu crains de dévoiler ? Tu sais que tous les habitants des autres pays ne vivent pas comme nous, qu'ils ont l'âme rebelle et qu'ils ne s'en laisseront pas compter.

- Aucunement, je n'ai pas peur. Sache que je n'ai peur de rien. Et tu te trompes lourdement si tu penses que je n'arriverai pas à les convaincre. Je vais leur dire que je vais les sauver de ce monde égoïste où ils sont exploités depuis des temps immémoriaux, que chez nous ils pourront trouver le paradis, s'ils acceptent de se battre pour le vrai Dieu, le nôtre, et accessoirement pour moi, l'un de ses fidèles représentants.

- Mmm... D'accord... admettons qu'ils te croient, admettons qu'ils acceptent... Comment comptes-tu ensuite empêcher toute une armée d'hommes de se rebeller, quand ils verront que tu ne comptes pas partager tes gains avec eux ?

- Ne t'inquiète pas pour ça, j'ai ma petite idée... répondit Moqui, avec un sourire énigmatique, un sourire carnassier d'où émanait une joie mauvaise.

- Non... tu n'as quand-même pas l'intention de les tuer l'un après l'autre ? Et comment ferais-tu ?

- J'ai une bien meilleure idée...

- J'ai hâte de savoir laquelle.

- Et bien vois-tu... la bêtise humaine n'ayant pas de limite, je suis sûr de pouvoir les convaincre d'offrir leur vie en sacrifice au nom de Dieu, tout en leur demandant de tuer d'autres hommes, en l'occurrence les tiens, si toutefois tu t'entêtes à vouloir t'opposer à moi.

- Tu es machiavélique, Moqui...

À ces mots, Moqui se rengorgea :

- Je te sais gré de ce compliment. Et tiens, pour te remercier, dans ma grande bonté, je vais te faire une proposition. Pourquoi n'accepterais-tu pas de t'allier à moi, plutôt que de chercher à m'empêcher d'obtenir ce que, de toute façon, j'obtiendrai très vite ? A nous deux nous pourrions faire de grandes choses...

 

     Ne s'attendant pas à cette proposition, Moquo resta tout d'abord muet. Des dizaines de réflexions et d'interrogations se mirent à se bousculer dans sa tête. Il se dit :"Moqui est l'homme le plus méchant, le plus avide, le plus orgueilleux que je connaisse, mais je dois reconnaître qu'il a des idées géniales. Il a raison, nous pourrions devenir riches et tout puissants. À nous le monde !" Mais il choisit de réserver sa réponse pour plus tard, pour ne pas inciter Moqui à prendre de l'ascendant sur lui, il s'en octroyait déjà bien assez lui-même. Il promit donc de réfléchir. Mais une fois que les deux hommes se furent de nouveau séparés pour reprendre leurs directions respectives, Moquo réfléchit et se dit qu'il pourrait lui aussi agir ainsi que Moqui avait eu comme première intention de le faire, qu'il pourrait, lui aussi, soulever des armées outre-mer, comme son ami avait réussi à réunir déjà cent hommes derrière lui, qu'il pourrait, lui aussi, convaincre ces armées de combattre et de mourir pour lui. Alors, il deviendrait riche et tout puissant, sans avoir à partager son trésor avec quiconque...

 

      Moqui et Moquo soulevèrent chacun leur armée, ajoutant au principal de leurs troupes des centaines d'autres hommes en recherche d'idéal. Ils s'affrontèrent, s'entretuèrent, et au final, le seul vainqueur fut la mort, le seul trésor fut le sable du désert augmenté de la poussière des débris collatéraux.

 

 

       C'est ainsi que de la discorde entre deux simples hommes peut naître un conflit planétaire, dont personne ne ressort jamais vainqueur, ni celui qui l'a amorcé, ni celui qui l'a attisé, ni celui qui en a tiré profit, ni celui qui l'aura servi au nom d'un idéal. Car du début à la fin, de l'état de brindille rougeoyante à celui de brasier incandescent, ce conflit érigé en idéal, au nom d'un Dieu pris en otage, n'aura été et ne restera à jamais qu'un simple et banal mensonge.

 

 

Martine 

 

 



06/09/2022
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