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Magique rencontre

 

        Mensonge et Douleur cheminaient toujours ensemble. Le mensonge de Mensonge était devenu si gros que ce dernier ne pouvait s’arrêter de parler. Il parlait, parlait, parlait…comme pour mieux nier sa nature mensongère, et de fait, s’y enlisait encore plus. La douleur de Douleur était si intense qu’elle en était devenue muette. Ainsi Mensonge pouvait-il aisément noyer Douleur sous le flot de ses paroles, sans qu’elle-même ne pût l’en dissuader.

 

         Tout le long du chemin, les mensonges de Mensonge rythmaient leur pas à tous les deux. Quand soudain vint vers eux une silhouette inconnue. Quand elle fut tout près, son visage radieux et son sourire avenant les ravirent tous les deux en même temps. En un instant. Soudainement. Etonnamment. Etrangement. Puis sa voix cristalline fit sur eux l’effet d’une caresse. D’une divine caresse. L’effleurement magique les rendit si heureux, l’espace d’une seule seconde, que Mensonge se tut pour la première fois depuis des décennies et que Douleur fit entendre sa voix, enfouie en elle depuis si  longtemps.   

— Bonjour, les salua Amour. Je cherche mon chemin, pouvez-vous m’aider ?

— Oui, où voulez-vous aller ? répondit aimablement Douleur.

— Je cherche la maison de Mensonge. On m’a dit que je pouvais l’aider.

Avant même que douleur n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche pour répondre à cette curieuse demande, Mensonge s’empressa d’intervenir :

— C’est par là ! fit-il en désignant du doigt la direction opposée à sa maison.

— Très bien, merci, répondit Amour de sa belle voix claire, l’air toujours aussi radieux.

Puis elle s’éloigna.

Prise d’une impulsion subite, Douleur se retourna et se mit à courir vers elle.

— Attendez ! cria-t-elle pour la stopper dans sa marche.

Amour se retourna et vit Douleur qui courait vers elle à perdre haleine. Elle attendit patiemment qu’elle arrive à sa hauteur. Douleur allait parler lorsque la voix d’Amour, chantante comme un ruisseau de printemps, lui dit :

— Reprenez votre souffle, j’ai tout mon temps. Le ciel est bleu, le soleil brille, la prairie est belle et ces parfums de jacinthe me ravissent. Le chant du rossignol est un véritable enchantement. L’instant est divin et je n’ai rien de mieux à faire que de le vivre pleinement, le goûter, le respirer.

Le temps de sa longue tirade, Douleur avait repris son souffle.

— Mensonge a menti… fit-elle d’un air gêné. Hé, c’est dans sa nature de mentir, ajouta-t-elle d’un air contrit, en un geste d’impuissance des deux bras.

— Ce n’est pas grave, répondit Amour, magnanime. Hé, c’est dans ma nature de ne pas juger, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.

Douleur était subjuguée par l’étonnante personnalité d’Amour. L’être dégageait une telle lumière ! Une telle paix ! Une telle sérénité ! Un être solaire, étrangement apaisant.

— Peut-être voudriez-vous venir chez moi ? lui demanda-t-elle d’une voix timide, désireuse de prolonger un peu plus longtemps cette présence bienfaisante.

— Avec grand plaisir. Où donc habitez-vous ?

— C’est par là, répondit-elle tout en se retournant, désignant ainsi du doigt la direction opposée à la leur.

— Très bien, je vous suis.

Ils virent alors Mensonge sur le bord du chemin. Ce dernier n’avait pas bougé depuis que Douleur avait fait demi-tour. Il les fixait de loin, comme hypnotisé.

Lorsque Douleur et Amour arrivèrent à sa hauteur, cette dernière demanda à Mensonge :

— Voulez-vous nous accompagner ? Douleur a eu l’extrême amabilité de m’inviter chez elle.

Mensonge ouvrit de grands yeux ahuris. Cet être étrange au visage rayonnant était en train de l’inviter à la suivre dans sa propre maison ! Visiblement elle n’avait pas compris que Douleur et lui habitaient ensemble.

— D’accord, répondit-il, laconique, lui d’habitude si bavard, subjugué qu’il était, lui aussi, par l’éblouissante aura de cet être providentiel.

— À la bonne heure ! répondit joyeusement Amour, allons-y.

— Douleur et moi habitons ensemble, crut bon de préciser Mensonge. Et je dis vrai, ajouta-t-il en la regardant droit dans les yeux, soudain inexplicablement anxieux à l’idée de ne pas être pris au sérieux.

— Je le sais bien, répondit Amour avec un grand et beau sourire, à la grande surprise de Mensonge.

Quant à Douleur, elle était suspendue aux lèvres d’Amour, buvant chacune de ses paroles comme on boit un élixir de Jouvence.

 

          Ils arrivèrent bientôt à destination. Mensonge sortit ses clefs de sa poche et entreprit de déverrouiller la porte d’une main tremblante. C’était la première fois qu’il ouvrait ainsi sa demeure à une inconnue. Jusqu’alors, à part Douleur, personne n’avait jamais pénétré au cœur même de son intimité. Même Douleur en était complètement bouleversée. Elle en avait les larmes aux yeux, mais non de chagrin cette fois. Au contraire, c’étaient des larmes de joie. De bonheur même. Pour la deuxième fois ce jour-là, Douleur muette se mit à parler la  première :

— D’où vient ce bonheur permanent sur votre visage ? demanda-t-elle à Amour. J’aimerais bien être comme vous.

— Eh bien alors soyez-le, répondit gaiement Amour, de sa belle voix angélique.

« Comme si c’était facile… » pensa Douleur. Puis elle croisa le regard aimant d’Amour et là, en un instant, intense, profond, fulgurant, elle ressentit tout d’abord cet immense chagrin qui l’avait emprisonnée pendant si longtemps, puis aussitôt après, presque simultanément, la sensation que ce poids terrible était en train de quitter son corps, son cœur et son âme, la libérant en un souffle salvateur. Son visage se mit à rayonner, comme celui d’Amour, avec le même sourire éclatant et le même regard céleste. Mensonge en resta bouche-bée, prostré. Voyant Douleur ainsi métamorphosée en la joie personnifiée, il en ressentit un bouleversement de tout son être. Subitement, il se découvrit tel qu’il était réellement, et, étrangement, n’en ressentit aucune douleur. Se pouvait-il qu’il… s’aimât ? Alors il se sentit aspiré lentement dans le corps de Douleur. Un peu comme le génie de la lampe d’Aladin réintégrant sa prison, à la différence que là, Mensonge retrouvait sa liberté en intégrant un corps de douleur transformé en bonheur.

— Comment te sens-tu maintenant ? demanda Amour, nullement surprise, et adoptant naturellement le tutoiement.

— Bien… répondit Douleur, ébahie. Très bien ! Très très bien !

— À la bonne heure !

— Mais… comment as-tu fait ça ?

— Je n’ai rien fait du tout, c’est toi qui as tout fait.

— Non, c’est impossible… si tu n’étais pas venue, rien de tout ça ne serait arrivé.

— Rien de tout ça… comment ça ? De quoi veux-tu parler ?

— Mais enfin, tu sais bien ! Nous étions deux et je suis seule maintenant.

— Erreur, tu as toujours été seule, mais ta douleur était si intense que tu as crû bon de te créer un autre toi-même : Mensonge. Il t’a aidée à fuir ta douleur. Mais en fuyant ta douleur, tu t’es fuie toi-même en même temps. Et tu es devenue esclave de Mensonge. En te reconnaissant enfin et en t’acceptant telle que tu es, tu t’es libérée de ta douleur, et en te libérant de ta douleur, tu t’es libérée aussi du mensonge.

— Grâce à ta venue. Mais si un autre que toi croise ma route et sait qui j’étais et ce que j’ai fait, il ne pourra me voir avec les mêmes yeux que toi. Alors comment puis-je savoir si je ne vais pas retrouver mon ancien moi ?

— Ton ancien Toi, ton vrai Toi, c’est celle que tu es redevenue aujourd’hui. Pas celle que tu viens de quitter à l’instant. Qui a croisé ma route un jour ne peut plus quitter son vrai soi. Qui a croisé ma route un jour et m’a invitée chez lui ne voit plus jamais ses semblables avec les mêmes yeux. Cet être que tu évoques portera le même regard que moi sur toi.

— Oui mais si c’est quelqu’un qui n’a jamais croisé ta route ?

— Amie, chaque être sur cette terre a croisé ma route un jour ou l’autre. C’est ainsi, il ne peut en être autrement. Chacun a eu un jour l’opportunité de m’inviter chez lui. S’il l’a fait, c’est, soit qu’il voulait passer un agréable moment avec moi, soit qu’il souhaitait changer pour mieux me ressembler. Car j’abrite le bonheur en moi. Qui ne voudrait appeler le bonheur en soi, à part celui qui se complait dans sa souffrance ? Quiconque a croisé ma route un jour et a voulu changer pour l’amour de l’amour, t’aimera aussi et puisqu’il t’aimera, il ne portera jamais aucun jugement sur toi. Il te pardonnera, comme il s’est pardonné à lui-même ses propres erreurs. Il sait ce que tu as traversé. Puisqu’il est passé par là avant toi. Qui t’aime te pardonnera. N’oublie jamais cela : qui t’aime te pardonnera. Qui ne t’aime pas n’est pas digne de toi. Va maintenant, vis ta vie. Vis l’instant.

— D’accord, mais il reste une dernière chose…

— Laquelle ?

— Je ne peux pas garder mon nom actuel : Douleur. Il ne me représente plus. Si je garde ce nom, il m’attirera de nouveau inévitablement vers le bas.

— Tu as tout à fait raison, alors choisis-en un autre.

Devant la perplexité de Douleur, Amour vint à son aide :

— Que ressens-tu en ce moment, maintenant que tu t’es libérée ?

— C’est difficile à expliquer… du bonheur, un grand bonheur, presque de la… félicité !

— Alors pourquoi n’adopterais-tu pas ce nom : Félicité ?

— Pourquoi pas, oui…

— Adjugé, vendu ! Félicité, je suis heureuse de faire ta connaissance, conclut Amour avec un sourire plus merveilleux que jamais.

Ému, Félicité s’approcha d’Amour, la prit dans ses bras et la remercia, les yeux pleins de larmes. Une joie libératoire comme jamais elle n’en avait connue de toute sa vie, lui donna l’impression de s’envoler.

 

     Quand Amour reprit sa route pour aller éveiller d’autres âmes, Félicité n’en fut nullement attristée, puisqu’elle n’eut pas l’impression de perdre quelque chose de précieux. Puisque l’amour était désormais en elle. Pour toujours.

 

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17/03/2018
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