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Les voyages de Meluda / Le bien

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Pérénius, habitant de la planète Myrida, décide un jour d'avoir une longue conversation avec son fils, Méluda, leur entretien se terminant par cette injonction :

-    Méluda, mon fils, tu viens d'avoir soixante-dix ans, tu es presque adulte maintenant. Il est temps pour toi de parcourir le monde. Lorsque tu reviendras, tu me feras un compte-rendu de tout ce que tu auras appris.

-    Bien père, acquiesce le jeune fils obéissant.

Pérénius tend vers son fils un écran très lumineux, en ajoutant :

- Tu feras une rapide visite sur toutes les planètes présentées ici, mais ta première enquête approfondie portera sur la planète Terre.

-   Oui, père.

-  Mais avant que tu ne partes, je dois tout de même t'avertir que les habitants de cette planète n'obéissent pas aux mêmes lois temporelles que nous. Pour les terriens, soixante-dix ans est un âge très avancé dans l'existence, car leur espérance de vie est d'environ quatre-vingt ans.

-  Réellement ? Ils ne vivent que quatre-vingt ans ? Trois cent ans de moins que nous ?

-  Exactement.

-  Et vous savez pourquoi, père ?

-  Non, nous l'ignorons. Et l'enquête que je t'envoie faire sur cette planète, tout en constituant pour toi un premier apprentissage, nous permettra sans doute d'élucider ce mystère. Ta première leçon portera sur les notions générales de vie utilisées sur et mises en pratique par les terriens.

-  Très bien, père.

-  Ah, j'oubliais : ils disent être dans leur vingtième siècle.

 

©

 

 Seulement quelques heures plus tard, Méluda embarque sur son vaisseau spatial pour entamer un long voyage intersidéral. Il visite ainsi plusieurs planètes, dont certaines l'enchantent, d'autres lui déplaisent, ou d'autres encore le laissent parfaitement indifférent. Puis, enfin, il parvient sur la planète terre. Le hasard le fait atterrir sur un sol joliment fleuri, où des insectes que l'on nomme cigales font chanter la vie au rythme des couleurs éclatantes révélées par le soleil, où les êtres parlent vite, autant avec leurs mains qu'avec leur langue, où ils se nourrissent principalement d'une substance moelleuse détaillée sous différentes formes et qu'ils appellent pâtes. Et puis, lorsqu'il a réussi à saisir la structure de ce dialecte chantant comme une rivière qui descend la montagne, Méluda apprend qu'il se trouve en Italie, dans la partie occidentale de la planète terre.

 

    Il se sent bien en cet endroit. Les êtres, appelés hommes pour les mâles, femmes pour les femelles, y ont l'air heureux et bon vivants. Pour se mouvoir incognito au milieu d'eux, il a pris leur apparence. À leurs yeux, il possède donc les traits d'un homme au type méditerranéen, à la peau colorée, aux cheveux bruns. Il aime les rencontrer sur son passage et croiser leur regard. Il veille bien à faire un sourire, à chaque nouvelle rencontre, ainsi que son père le lui a conseillé. Car selon les dires de ce dernier, il s'agit là, pour la race humaine, d'un signe de reconnaissance.

 

   Voilà donc qu'une jeune femme vient dans sa direction. Juste avant qu'elle n'arrive à sa hauteur, il la regarde droit dans les yeux et la gratifie d'un sourire magistral. Il ne réussit à capter de son regard à elle qu'une lueur fugitive, car elle baisse la tête aussitôt et hâte soudainement le pas, sans lui rendre son sourire. Méluda n'a pas le temps de s'interroger sur cette étrange attitude, qu'un homme fond tout à coup sur lui, l'attrape par le col de sa chemise et se met à le secouer comme un prunier, tout en lui ordonnant d'une voix de gluckmanor en colère (l'un des terribles prédateurs de sa propre planète) de laisser sa femme tranquille. Méluda n'y comprend rien. Il tente de s'expliquer. Il n'a rien fait, rien d'autre qu'un sourire. Au lieu de le calmer, les explications de Méluda ne font que rendre l'homme deux fois plus furieux. Heureusement le doyen du village, qui passait justement par là, comprend immédiatement la situation et intervient pour séparer les deux hommes.

-   Vous n'êtres pas d'ici jeune homme, n'est-ce pas ? demande le vieillard.

-   Non, je suis de passage. Je viens d'une terre très lointaine où les mœurs sont différentes.

-   Ça se voit. Sachez que dans ce pays, dans cette région précisément, il n'est pas bien de sourire aux inconnues dans la rue.

-   Pas bien ? répète Méluda, essayant de saisir le sens de ce mot.

-   Non, ce n'est pas bien.

-   Pourquoi ?

-   Parce qu'ici, on respecte les femmes.

-   Ah, et… sourire aux femmes signifie ne pas les respecter ?

-   Oui. Exactement.

-   Très bien, j'ai compris la leçon, je ne recommencerai pas.

 

    Méluda poursuit sa route et arrive en France, dans une grande métropole dont il ignore le nom. Là, il trouve que les habitants ont le regard méfiant ou agressif. Pourtant, il veille particulièrement à ne jamais sourire aux femmes qu'il croise, même à celles qui, elles, bizarrement, lui sourient. En revanche, il se rattrape en offrant son plus beau sourire aux hommes, lesquels, allez savoir pourquoi, le regardent alors d'un œil méprisant, moqueur ou menaçant. Il finit par apprendre que dans ce pays-ci, il n'est pas bien de ne pas répondre à un sourire, que c'est une marque d'impolitesse ; qu'en revanche, il n'est pas de bon ton de sourire à un homme. Méluda trouve les terriens bien compliqués. Sourire, ne pas sourire... que faut-il faire ? Un jour c'est bien, le lendemain, c'est mal.

 

     Il reprend sa route et au hasard de ses pérégrinations, découvre des règles différentes selon les pays, les régions, les villes... Dans certains pays, par exemple, il est interdit de fumer dans les lieux publics, dans d'autres c'est permis. Le port de la ceinture de sécurité dans les voitures est obligatoire dans certains pays, non obligatoire dans d'autres. Dans certaines contrées, cette ceinture est même inexistante. Etc, etc. Meluda y perd son Myridanien. Il décide de ne pas noter toutes ces différences, il y en aurait beaucoup trop !

 

 

      Un peu plus tard, il change complètement de contrée et arrive dans une région de l'Inde, où les températures sont beaucoup plus élevées et la végétation plus luxuriante. Là, il découvre un monde totalement différent. Il est frappé par la misère qui se dégage des rues et qui marque les visages des habitants. Il ne comprend pas, alors il questionne : « Que se passe-t-il ici ? Pourquoi les gens ont-ils l'air aussi triste, pourquoi sont-ils aussi maigres ? ». On lui répond que sur cette terre il n'y a plus rien à manger depuis longtemps. Méluda voit les vaches qui se promènent tranquillement dans les rues et demande alors pourquoi les gens ne s'en nourrissent pas, comme le font les Italiens, les Français ou les Anglais. On lui répond d'un air offusqué qu'il n'est pas bien de faire cela !

 

       Méluda, de plus en plus désorienté, poursuit sa route et arrive en Israël où il fait aussi chaud mais où l'atmosphère est moins humide qu'en Inde et où la végétation se fait plus rare. Là, les hommes semblent mieux nourris mais beaucoup sont tristes et fatigués. On lui apprend alors que ce sont les interminables guerres et attentats qui secouent le pays depuis toujours qui les ont rendus ainsi. Il apprend également qu'ici, il n'est pas interdit de manger de la vache ou du bœuf, mais qu'il n'est pas bien de manger du porc ; que le jour du Seigneur n'est pas le dimanche comme en France, en Italie ou en Angleterre, mais le samedi, et qu'il n'est donc pas bien de respecter un autre jour que celui-là et de travailler ce jour là. Devenu très conciliant et pas contrariant le moins du monde devant les représentants de ces peuplades qui parfois s'énervent pour un rien, Méluda s'éloigne discrètement. Il se gardera bien de travailler, au cas où ce jour-ci serait un samedi. D'ailleurs, il ne connaît même pas ce concept de « travailler ». Il décide de reprendre la route, à la fois inquiet et curieux de savoir ce qu'il va bien pouvoir découvrir de nouveau au sein d'une autre peuplade.

 

        Il parvient donc en Afghanistan, où il fait toujours aussi chaud et où, étrangement, les femmes sont emmitouflées dans de longues tuniques qui les cachent entièrement. De la tête aux pieds. À l'emplacement des yeux, se trouve un grillage de fils très serrés. Meluda se demande comment ces femmes peuvent arriver à voir ce qui les entoure et à se déplacer. Il est évident que cette fois il ne sera pas le moins du monde tenté de sourire à ces dernières, étant donné qu'il ne parvient jamais à capter leur regard. Dans ce pays, on lui confirme bien que, comme en Israël, manger du porc n'est pas bien. Mais faire du samedi un jour réservé à Dieu n'est pas bien non plus, puisque le jour saint est le vendredi. Méluda prend consciencieusement des notes. Il trouve tout cela bien compliqué. Il n'est pas du tout sûr de tout retenir.

 

         Il continue son chemin. Toujours, partout, il découvre de nouvelles vérités, vérités démenties quelques jours plus tard et redémontrées encore plus tard. Ce qui est bien un jour, ne l'est plus le lendemain ou inversement. Ce qui est sûr, c'est que lorsqu'il rentrera sur sa planète, Méluda sera bien incapable de démontrer à son père ce qu'il a découvert à propos de cette notion de "bien" chez les terriens.

 

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         De fait, la première réflexion qui lui vient à l'esprit, une fois rentré chez lui, dès que son père lui demande de relater son voyage, est la suivante :

-   Père, j'ai trouvé mon séjour sur terre très passionnant et instructif, mais je n'ai pas toujours été très à mon aise sur cette planète.

-  Ah bon ? Pourquoi donc ?

-  Eh bien…ses habitants semblent obsédés par l'idée du bien, mais je n'arrive pas à saisir le sens de ce concept, car il change toujours selon les contrées que l'on visite.

Pérénius sourit.

-  Ce n'est pas selon les contrées qu'il change, mais selon les religions dominantes de ces contrées, c'est-à-dire selon la religion respectée par le plus grand nombre de personnes.

-  Religion ? Quel est ce concept ?

-  Que retrouve-t-on dans le mot religion ? Réfléchis bien.

-  ...

- Le verbe relier. La religion, chez les terriens, est ce qui permet de relier les hommes.

-  Vous voulez dire, père, qu'ils ne sont pas en harmonie ?

-  Non, ils sont différents de nous. Ils n'ont pas encore trouvé leur équilibre. Alors ils se créent des philosophies et des lois pour y parvenir.

-  Je ne comprends pas…

-  Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?

-  Ces religions, comme vous dites, ne semblent pas les relier, mais les séparer, au contraire. Selon les contrées auxquelles ils appartiennent, ces lois changent et il semble impossible de faire admettre un autre point de vue que le point de vue dominant. Dans une même contrée, parfois, ces peuplades ne sont pas en harmonie. En Israël par exemple, certains hommes affirment que le jour de Dieu est le samedi, d'autres disent que c'est le vendredi, et ils se battent entre eux pour imposer leurs croyances les uns aux autres. C'est vraiment très étrange. Pourquoi ne peuvent-ils avoir des idées différentes sans vouloir à tout prix les imposer aux autres ? Pourquoi ne peuvent-ils vivre en harmonie tout en ayant des pensées diverses, comme chez nous ? Et d'abord, qui est ce Dieu qui porte différents noms selon les pays ? Et pourquoi…

-  Attends, ne t'emballe pas, tu poses plusieurs questions à la fois. Prenons-les une par une. Tu demandes pourquoi ils ne peuvent avoir des idées différentes sans vouloir à tout prix les imposer aux autres. Ce n'est pas qu'ils ne peuvent pas, c'est qu'ils ne veulent pas. La nuance est importante, car s'ils le voulaient, ils le pourraient et cela résoudrait pas mal de conflits sur leur planète. Seulement il y a cette notion de bien qu'ils ont crée, dont la notion inverse est celle du mal. Le fait est que cette notion prend des aspects différents selon les contrées qu'ils habitent parce les mœurs et les coutumes y sont à chaque fois différents, que les climats et les végétations y sont divers. Leur problème, c'est surtout ceci : ils n'ont pas encore intégré le fait que ce qui importe dans leurs relations, ce n'est pas tant ce qui leur semble acceptable au regard de la morale, cette morale qui diffère constamment selon le pays où ils se trouvent, mais ce qui permet l'harmonisation dans la différence. Tant qu'ils n'auront pas compris cela, ils continueront à donner à cette incarnation du bien qu'ils appellent Dieu des noms différents, selon les mœurs et les traditions des contrées dans lesquelles ils vivent. Et tant qu'ils feront cela, ils persisteront à ne pas vouloir s'entendre, à vouloir imposer leurs idées diverses par la force. Ils continueront à s'entretuer au lieu de favoriser l'harmonie.

-   Mais en faisant cela, ne risquent-ils pas un jour de faire disparaître leur planète ? Car il m'a semblé que certains terriens sont très bien équipés en armes de destruction massive.

-   C'est là, bien sûr, un risque majeur. Mais as-tu bien assimilé la leçon que je voulais que tu apprennes ?

-   J'ai assimilé plusieurs leçons.

-   Oui, mais il en est une sur laquelle je tiens à insister, c'est celle-ci : toute notion est sujette à interprétations diverses, notamment cette notion du bien dont l'antonyme est le mal. Ce qui importe est ce qui va dans le sens de l'harmonie. Tenter d'imposer une religion ou une croyance ne tend pas vers l'harmonie. Contraindre les femmes à cacher entièrement leur corps ne tend pas vers l'harmonie. Accepter des traditions, des idées, des mœurs, des philosophies, des religions différentes, c'est créer une harmonie dans la différence. C'est cet idéal que nous avons réussi à atteindre sur notre planète et c'est pourquoi nous avons perdu de vue cette notion de guerre, encore si vivace sur terre. Je voulais que tu fasses l'expérience de cela, pour que tu puisses te rendre compte des progrès que ta planète a faits au cours de l'histoire.

 

C'est ainsi que Méluda, jeune habitant de la planète Myrida, fit l'apprentissage du bien.

 

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15/03/2017
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