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La clé de l'énigme sur la porte du faux toit (toi)

Jeune femme devant un manoir + numéro.JPG

 

 

 

   C’était bien la première fois qu’une telle histoire lui arrivait ! Une aventure insensée ! Encore plus angoissante que celle d’un thriller. Et ceci dès la scène d’ouverture, pour le moins rocambolesque, dont elle se souviendrait pendant longtemps :

   Devant elle : un manoir sombre et austère, à la robuste porte médiévale grande ouverte. De cette porte émane un nuage de fumée grise nauséabonde. Caroline retient un haut-le-cœur. La puanteur est un mélange de relents d’égout, de moisissure, d’excréments, de vomi, et de quelque chose d’encore plus écœurant qu’elle ne parvient pas à identifier.

  Lui parvient en même temps de la porte un souffle glacial en contraste total avec la température extérieure, extrêmement élevée en cet après-midi caniculaire.

  De l’autre côté de la porte : le noir complet. Le noir, le vide, et le froid glacial. Rien de très engageant, donc, même si la chaleur extérieure est suffocante, et même si un petit intermède réfrigérant ne serait pas pour déplaire à jeune femme. Mais surtout, Caroline éprouve une sensation étrange et très inconfortable, avant même d’avoir posé un pied à l’intérieur de la demeure.

 

   C’était un manoir de caractère, d’une taille modeste, mais imposant et sombre. Normalement, Louis et elle auraient dû en franchir le seuil ensemble. À cette pensée, Caroline s’interrogea : comment son nouvel ami, rencontré depuis peu, avait-il bien pu avoir l’idée saugrenue d’acquérir cette lugubre bâtisse ?  Comment pouvait-on avoir envie d’habiter un lieu qui dégage de telles ondes négatives et hostiles ?

    Car c’était bien ce que lui renvoyait l’étrange demeure en cet instant : de l’hostilité.

 

  Caroline faisait partie de ces êtres hypersensibles qui ressentent les choses puissamment et en profondeur, parfois de manière excessive. Des êtres qui possèdent par ailleurs une intuition très développée. Au point de pouvoir résoudre une énigme compliquée par ce seul moyen. Et c’était bien le cas de la jeune femme. Elle possédait un véritable don de clairvoyance, bien que ne le sachant pas encore. Du moins pas de manière évidente.

 

   En l’occurrence, debout face au manoir, la jeune femme avait en cet instant l’étrange sensation de supporter un poids très lourd sur ses épaules. Un poids énorme qui la contraignait à courber le dos. Réellement. Il ne s’agit pas là d’une métaphore. La sensation éprouvée par la jeune femme était bel et bien le reflet de la réalité. Son dos était sans aucun doute en train de se voûter sous la charge.

 

  Mais que se passe-t-il ? se demanda-t-elle avec inquiétude. Qu’est-ce qui m’arrive ? Et puis toi aussi, Louis, où es-tu ? Pourquoi m’avoir fait faux bond comme ça à la dernière minute ? Tu as beau me plaire, avec tes beaux yeux bleus ensorceleurs, ton sourire enjôleur et ta carrure de play-boy, je n’apprécie pas beaucoup que tu me laisses entrer toute seule dans cette maison lugubre.

« Attends-moi à l’intérieur, la porte sera ouverte. Je te rejoins aussi vite que possible », m’as-tu dit au téléphone. Si c’était de l’humour, je n’apprécie guère. Quand même un peu limite, ton humour, non ? Et moi qui ai accepté sans même hésiter une seconde ! C’est tout moi, ça ! Mais ça, c’était avant de savoir comment il était, ce fameux manoir que tu as acheté pour une bouchée de pain, soi-disant. Tu m’étonnes, d’ailleurs, que le prix soit si abordable, il a l’air si accueillant ce petit nid douillet…

« Non, rien à faire, je ne rentre pas là-dedans toute seule, en conclut-elle à voix haute, je vais attendre l’arrivée de Louis ».

 

   Il faisait de plus en plus chaud. Le soleil brûlait chaque centimètre carré de sa peau sans protection. Silencieusement, elle espéra sur elle une averse soudaine et bienfaisante qui apaiserait ses brûlures et compenserait un peu la lourdeur de sa charge. En effet, son fardeau pesait une tonne. Des gouttes de sueur ruisselaient sur son visage congestionné. Ses vêtements lui collaient à la peau. Oui, une averse serait vraiment la bienvenue. Toutefois, quelle averse assez puissante eût pu apaiser celle de son âme ? Car ce n’était pas le soleil qui était en train de lui calciner l’âme en cet instant…

« Non, pas question que je rentre là-dedans ! » réaffirma-t-elle alors en son for intérieur.

 

   Elle se ravisa quelques secondes plus tard en tentant de se donner du courage : « n’importe quoi ! De quoi aurai-je l’air si je dis à Louis que je l’ai attendu avant d’entrer, parce que j’avais peur ? Tant pis, j’y vais.  Allez, Caroline, go on ! »

 

    Prenant son courage à deux mains, et faisant fi de l’odeur désagréable qui arrivait à ses narines avec encore plus d’intensité, la jeune femme avança le pied droit pour entrer dans le vestibule, quand soudain, avant qu’elle n’ait eu le temps d’aller plus loin, les deux battants de la porte se refermèrent brutalement d’un claquement sec qui la fit sursauter. Bouche bée, elle resta immobile pendant plusieurs secondes à fixer la porte close d’un air interdit. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent. Comment ces deux grands et lourds battants avaient-ils pu se refermer tout seuls avec une telle force ? Il n’y avait qu’un moyen de le savoir : les rouvrir pour regarder à l’intérieur. Peut-être trouverait-t-elle la clé de l’énigme là-dedans ?

 

   D’un geste franc et déterminé, elle posa sa main sur la poignée. Immédiatement, elle sentit une résistance. La serrure est sûrement bloquée, maintenant, se dit-elle. Impossible d’ouvrir. Visiblement, cette fois il allait lui falloir une clé pour pénétrer à l’intérieur.

   Bon, ben là… désolée Louis, mais je ne vais pas pouvoir entrer comme tu me l’as demandé, se dit-elle. Je n’ai pas encore le pouvoir d’ouvrir les portes fermées par le seul effet de ma pensée, vois-tu.

 

   À ce moment-là, Caroline était bien loin d’imaginer qu’elle était peut-être en train d’émettre une contre-vérité…

 

   Scrutant les alentours, elle aperçut un banc un peu plus loin, en retrait de l’allée, à l’ombre d’un superbe chêne abondamment feuillu. « C’est exactement ce qu’il me faut », se dit-elle. Elle s’y dirigea d’un pas tranquille, se réjouissant à l’avance de pouvoir échapper un moment aux rayons mordants du soleil. À l’instant même où elle s’apprêtait à entrer dans l’ombre de l’arbre, retentit sur son téléphone le bip sonore d’avertissement d’un SMS. Elle ouvrit son sac à mains pour se saisir de l’appareil. C’était Louis. Etrangement, le message avait été envoyé bien avant qu’elle n’arrive sur les lieux, mais ne lui parvenait que maintenant sur son téléphone. Une question de réseau, sans doute…en conclut-elle aussitôt. « Voici la photo de la maison, disait le texto. Avec ça ce sera peut-être plus facile pour toi de trouver l’adresse ».

 

   Le soleil était haut dans le ciel. Ses rayons fulgurants se réfléchissaient avec force sur l’écran de son Smartphone, de sorte que même avec ses lunettes de soleil, Caroline ne décelait pas grand-chose dans ces formes ouatées aux reflets aveuglants. Elle ôta donc ses lunettes, et tout en continuant à avancer en direction du banc, elle fixa son attention sur la photo. Aussitôt qu’elle distingua l’image, elle stoppa net.  Elle allait rester statique pendant deux ou trois secondes, avant d’émettre un petit sourire. « Ainsi c’était donc ça, se dit-elle, je me suis tout simplement trompée de numéro de rue ! »

 

   En effet, la jolie villa qu’elle était en train d’admirer sur la photo n’avait absolument rien à voir avec le manoir austère dont elle venait à l’instant d’essayer d’ouvrir la porte. Mais tout cela l’intriguait tout de même beaucoup. Elle était pourtant presque sûre d’avoir entré la bonne adresse dans le GPS. Ça m’étonne de moi, cette erreur…se dit-elle.

 

   Pour en avoir le cœur net, Caroline décida de revenir sur ses pas, afin de vérifier le numéro de rue de la maison. Celui-ci, en fer forgé, était cloué sur le côté gauche de la façade : 189. Elle réfléchit à voix basse : « C’est bien ce que je pensais, je ne me suis pas trompée. Ça m’étonnait aussi, j’ai vérifié trois fois avant de me mettre en route. C’est bien ça, c’est le bon numéro.  Je suis à la bonne adresse ». 

…/…

   Ça y est ! J’ai compris ! » ironisa-t-elle en son for intérieur, pour tromper son inquiétude qui grandissait de minute en minute, c’est la maison qui a voulu se déguiser en manoir hanté pour me faire une bonne petite blague.

   Peine perdue. Dans l’état actuel des choses, non seulement elle n’avait pas vraiment envie de faire de l’humour, mais elle commençait même à avoir un petit peu peur. Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? se demandait-elle, aussi inquiète que perplexe.

Tout en réfléchissant, elle continua à observer le manoir, lequel lui paraissait de plus en plus sombre et repoussant. Tout en cette bâtisse semblait diriger volontairement sur elle ses volutes de fumée grises et malodorantes. Comme si la maison était… humaine. Même les fenêtres ressemblaient à des yeux aux regards féroces. 

   Arrête, tu as trop d’imagination, se sermonna-t-elle. Va t’asseoir sur le banc pour attendre Louis. C’est ce que tu as de mieux à faire. Tout va s’expliquer, tu verras. 

   Quand on parle du loup… Au même moment arriva un nouveau SMS de Louis : « Qu’est-ce que tu fais ? Tu n’as pas trouvé l’adresse ? »

  Déconcertée, Caroline garda les yeux rivés sur l’écran, tout en essayant de comprendre : Comment ça, qu’est-ce que je fais ? Et lui, où est-il ? Suis-je censée lui envoyer un message à chaque étape de mon itinéraire ?

 

   Ce fut à cet instant précis qu’une alarme se mit à bourdonner dans sa tête. En un clin d’œil elle comprit tout. Louis… elle le connaissait à peine, ce type, après tout… Pourquoi lui posait-il cette question ? Il semblait savoir qu’elle n’était pas dans la maison…

   La raison évidente la cloua sur place : Louis était déjà là. Sûrement à l’intérieur de la demeure. En train de l’observer de loin par l’une des fenêtres… En train de se demander pourquoi elle n’entrait pas…

   Et visiblement suffisamment impatient pour s’être trahi avec autant de stupidité.

 

   En repensant à l’une de leurs conversations, quelques heures plus tôt, Caroline se rappela qu’à un moment donné elle avait eu quelques doutes à son sujet. Elle s’était dit que quelque chose clochait dans son attitude. Par instant, le regard froid et quelque peu inquiétant de l’homme démentait son sourire avenant et ses paroles aimables. Mais comme il lui plaisait bien, elle avait mis cela sur le compte de son imagination un peu trop fertile. Elle avait purement et simplement balayé sa réticence d’un revers de main. Elle n’avait pas écouté sa petite voix intérieure qui lui soufflait :  attention.

 

   Et si c’était un psychopathe, finalement ? se demanda-t-elle avec effroi. Un psychopathe un peu balourd, certes, mais un psychopathe tout de même. Et si c’est bien le cas, sa bourde grossière n’ôte rien à sa dangerosité.

   Caroline sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Signe de confirmation très révélateur. Cela semblait incroyable, improbable, digne d’un mauvais film d’horreur au scénario invraisemblable, mais c’était bien ça, l’explication : cette vision déformée d’une jolie petite maison de rêve transformée par on ne sait quel effet magique en manoir menaçant, c’était une mise en garde urgente et insistante du fait qu’on l’avait attirée dans un piège et qu’elle devait s’enfuir de là sans tarder. La porte claquée avec force, suivie de l’impossibilité de l’ouvrir, ne faisaient que confirmer cet avertissement.  

 

   Sous aucun prétexte Caroline ne devait entrer dans cette maison. Le message était parfaitement clair.

 

   Caroline ne répondit pas au SMS de Louis. Elle se retourna, et s’obligea à marcher d’un pas lent sur la longue, l’interminable allée qui menait jusqu’à sa voiture garée à l’extérieur du parc, bien qu’en cet instant elle eût envie de détaler comme un lapin. En effet, si elle se mettait à courir ou même simplement à presser le pas, et si, comme elle le pensait, Louis était en train de l’observer, en retrait derrière l’une des fenêtres, il ne fallait surtout pas qu’il puisse en déduire qu’elle était en panique parce qu’elle avait tout compris.

 

   Quand elle parvint enfin à sa voiture, Caroline se précipita au volant et s’y agrippa des deux mains comme à une bouée de sauvetage, puis verrouilla aussitôt les portières, avant de pousser un grand soupir de soulagement.

   À présent, elle était hors de danger.

 

  Avant de démarrer, elle jeta un dernier coup d’œil à la maison : sous ses yeux se dressait la façade accueillante de la villa de la photo envoyée par Louis…

 

MPV



20/07/2025
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