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Tristesse et compagnie

 

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Un jour de grand froid, un moineau déprimé rencontra son ami le pigeon et lui dit sur un ton larmoyant :

-         J'en ai marre de cette neige et de cette glace, je ne trouve rien à manger…

-         Moi non plus je ne trouve rien à manger, répondit simplement le pigeon.

-         Oui mais toi, tu es plus fort que moi, tu as des ailes plus solides et plus vigoureuses. Tu peux voler plus loin que moi pour trouver de la nourriture, fit le moineau d'un air envieux.

-         Oui mais moi, je ne trouve nulle part où me réchauffer, renchérit le pigeon, alors que toi, comme tu es petit, tu peux te faufiler sous les tuiles du toit et te réfugier sous les poutres ou dans la paille. Alors arrête de te plaindre.

Ne trouvant rien à répondre et déçu par l'attitude désobligeante de son ami, le moineau s'éloigna, en quête d'une oreille un peu plus attentive.

Un peu agacé, quant à lui, le pigeon s'envola d'un battement d'aile désordonné. « De quoi se plaint-il ? Marmonna-t-il en son bec, lui il peut se faufiler derrière les tuyaux et s'y désaltérer de la neige fondue, alors que moi j'ai les plumes déjà toutes sèches et je ne peux étancher ma soif ! »

Dans sa précipitation à s'éloigner de cet agaçant moineau, le pigeon ne vit pas son ami le corbeau arriver sur sa droite, et le heurta légèrement.

-         Eh ! Fais un peu attention ! Lui cria le corbeau.

-         Désolé, répondit le pigeon, tout penaud, j'étais dans la lune. C'est ce moineau aussi !

-         Quel moineau ?

-         Cet ami, tu sais, celui qui nous avait invités à la fête de l'épouvantail au printemps dernier…

-         Ah oui, je me souviens ! Sympa le type. On s'était drôlement marrés à cette fête ! Surtout pendant le jeu où il fallait tourner autour de l'épouvantail, tu te rappelles ? L'un d'entre nous était perché dessus et les autres tournaient autour en piaillant… Le fermier était fou ! Il a vidé trois cartouchières sans réussir à toucher un seul d'entre nous !

-         Ouai, c'était sympa.…

-         Bah alors, qu'est-ce qui se passe avec ce sympathique moineau ?

-         Il se passe qu'avec l'arrivée de l'hiver, il devient ennuyeux comme la pluie. Il se plaint tout le temps. « Et je ne trouve pas ceci, et je ne trouve pas cela… » Il m'énerve ! Qu'est-ce que je devrais dire moi, dans ma situation !

-         Quelle situation ?

-         Je ne trouve plus rien à me mettre sous le bec. Avant, j'habitais en ville et je me régalais des miettes de pain jetées par les hommes. Maintenant, il leur est interdit de le faire. Il paraîtrait que nous sommes devenus trop nombreux, nous, les pigeons. Il paraîtrait même que nos déjections abîment tout. Alors tout est fait pour qu'on quitte les villes : ils installent des filets partout, nous coupent les vivres.…Leur dernière trouvaille : élever des faucons pèlerins pour qu'ils nous chassent et nous tuent. On aura tout vu ! Bref, avec tout ça, je n'avais pas d'autre choix que de me mettre au vert. D'où mon arrivée ici, à la campagne, au milieu de tous ces ploucs. Mais ici, pas de miettes de pain dans les squares ou sur les places !

-         Mais il faut te battre mon petit vieux ! Ah ça, ici,  chez les ploucs comme tu dis, c'est sûr, le grain ne t'arrivera pas tout cru dans le bec ! Il faut se donner la peine d'aller le chercher !

-         Merci beaucoup pour ta compassion, ironisa le pigeon. Je n'en attendais pas moins d'un noiraud dans ton genre, tout juste bon à suggérer la mort avec ton croassement ridicule ! Moi au moins, je roucoule mélodieusement, j'inspire les poètes, moi, Môssieur !

-         C'est ça, c'est ça...et bien va donc roucouler plus loin, espèce de poule mouillée !

Là-dessus, le corbeau battit un grand coup d'aile furieux pour s'éloigner le plus vite possible de ce pigeon couineur. Révolté par l'égoïsme, l'individualisme, l'opportunisme de la nature ornithologique, dont il venait d'être le témoin, il décida, pour se remonter le moral, de rendre visite à son ami le grand aigle royal. Car, excusez du peu, il s'enorgueillissait de compter ce digne personnage parmi ses amis.  En cette rude période hivernale, il savait que l'épreuve de monter jusqu'au sommet de la montagne où résidait son ami serait difficile pour lui, mais tant pis, il fallait qu'il le voie, qu'il l'entende, qu'il s'abreuve jusqu'à satiété de la grande sagesse de ce haut personnage, dont l'aura puissante et le pouvoir naturel forçaient depuis toujours son admiration. Et puis, si au passage il pouvait lui glisser le désagrément dont il était victime en la personne de cet imbécile de pigeon et lui demander habilement de l'en débarrasser...… Après tout, cet idiot venait, à l'instant, de tenir des propos humiliants à son encontre !

-         Eh ! Mon ami le corbeau ! Lança joyeusement l'aigle en le voyant arriver de loin, est-ce bien toi ?

-         Bonjour grand aigle royal, oui, c'est bien moi. J'avais besoin de te voir.

-         Que t'arrive-t-il donc pour que tu aies fait l'effort de voler jusqu'ici par ce blizzard aveuglant ?

-         Si tu savais... répondit le corbeau d'un air excédé. Comme tu as de la chance d'habiter seul ici, dans cette caverne, loin de la compagnie des oiseaux pleurnichards !

-         Des oiseaux pleurnichards ?

-          Mais oui, pleurnichards, et je pèse mes mot. Ils sont tout le temps en train de geindre, de se plaindre, de se lamenter… gémit le corbeau.

-         Et toi, que fais-tu donc en ce moment ? répondit l'aigle, qui était très occupé et que le corbeau venait déranger au beau milieu d'une activité intense et urgente.

-         Mais...…mais...… bredouilla le corbeau, honteux et confus.

-         Ecoute-moi bien, cher ami, si le courage et l'énergie dont tu as fait preuve pour monter jusqu'ici te servait plutôt à t'entendre avec tes compagnons et à partager avec eux le peu que vous avez pour survivre à l'hiver, tu ne trouverais plus aucune raison de venir me voir. Ton attitude est offensante pour moi. Je n'ai aucun besoin de ta fausse amitié, et puis tu m'ennuies avec tes jérémiades. Retourne donc d'où tu viens.

Dépité, le corbeau redescendit tristement de chez l'aigle royal, affligé. Il retourna subir la compagnie du pigeon accablé par la tristesse du moineau.

Puis, chacun dans leur univers, ils firent de la tristesse leur compagnon de route. Ils en firent même une manière de vivre et l'encensèrent à travers leurs chants, à défaut de pouvoir émettre des sifflements joyeux.

Jamais à aucun d'eux, à aucun moment, pas une seule seconde, l'idée n'était venue, qu'en joignant leurs ailes et en unissant leurs chants, ils auraient pu composer cette symphonie du bonheur dont ils rêvaient tous, mais à laquelle pourtant, chacun avait renoncé depuis longtemps…

 

Martine

 

 

 

 

 



04/01/2016
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