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Les gardes du coeur / Tome 2 / L'hymne à l'arbre qui pleure

J'ai le plaisir de vous informer de la parution du tome 2 de mon roman "Les gardes du coeur" :

"L'hymne à l'arbre qui pleure".

®Tous droits réservés - Martine Plouvier-Vivien

 

 

 

 

 4ème de couverture :

 

Le père de Laura décède lors d'un incendie criminel. Cette dernière se retrouve donc à la tête de l'engheno, aux côtés de Miguel. À peine remis de son traumatisme, elle va subir un nouveau choc : Miguel disparaît lors d'une sortie en mer, sans même avoir eu le temps d'apprendre que Laura attend un enfant de lui. Désespérée mais consciente de ses devoirs de mère de famille et de chef d'entreprise, Laura va affronter courageusement toutes les difficultés, même les plus angoissantes. Braver tous les obstacles, même les plus criminels. Sans savoir que tout au bout de son chemin de croix, une ultime épreuve, la plus terrible de toutes, va contre toute attente lui faire connaître un grand bonheur.

 

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Extrait (chapitre 1) :

 

 

 

 

        Tout doucement l'aube se levait. Les fleurs du flamboyant s'allumaient une à une, faisant étinceler de mille feux toutes les gouttes de rosée qui les parait d'une couleur surnaturelle. L'odeur prégnante de la terre tropicale emplissait Laura d'un profond bien-être. Du balcon où elle s'était accoudée, elle pouvait admirer l'ensemble du parc encore endormi sous un ciel aux couleurs pastel. Son attention fut soudain attirée par un vol d'oiseaux. Elle s'imagina dans les airs avec eux et se laissa planer, rêveuse. Instant béni de plénitude totale. Elle se sentait si bien en cet endroit, à cet instant. Enfin délestée de toutes ses craintes, de toutes ses idées noires qui les jours précédents l'avaient rapprochée de l'enfer.

 

        Elle tourna son regard vers la chambre et contempla en souriant le visage de l'homme qui avait dormi à ses côtés. Il avait un bras allongé au-dessus de la tête, l'autre posé sur sa poitrine. L'air paisible au plus profond de son sommeil. Elle se mit à détailler chaque partie de son corps, souriant au spectacle de son visage serein encadré de boucles brunes. Elle s'émerveilla de toute la force qui émanait de ce corps puissant qui, cette nuit encore, l'avait étreinte, lui faisant connaître un plaisir tel, qu'aucun mot n'aurait pu le décrire parfaitement. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine inquiétude, bien que Miguel eût tout fait pour la rassurer. Elle avait bien conscience que l'avenir s'annonçait très difficile pour eux deux, surtout maintenant que Marc n'était plus de ce monde. Au souvenir du visage de son père, éteint pour toujours, la jeune femme sentit son cœur se serrer. Puis, les larmes libératrices déversèrent leur tiède amertume sur ses joues fraîches.

 

        Elle traversa lentement la chambre sur la pointe des pieds, veillant à ne pas troubler le sommeil de son amoureux. Elle descendit le grand escalier d'un pas rapide. Sortit précipitamment. Se réfugia aussitôt dans le parc. La tête renversée en arrière, elle huma d'une seule traite tout l'air que ses poumons encore endormis pouvaient aspirer. Comme si elle cherchait à puiser au plus profond d'elle-même la force de résister au chagrin.

 

        Elle traversa l'allée de rosiers qui menait à la piscine, observa un instant l'eau claire et lisse où se reflétaient toutes les couleurs vives des fleurs du parc, fit glisser son déshabillé à ses pieds et plongea aussitôt dans l'eau fraîche. Elle effectua trois longueurs sans s'arrêter, battant l'eau avec rage, reprenant à peine son souffle entre deux mouvements. À bout de forces, elle finit par s'arrêter, se hissa sur le rebord et resta assise là, épuisée, ses yeux scrutant désespérément le ciel, y cherchant. une réponse à ses questions muettes : "Pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi si vite ? De manière si tragique ? Pourquoi à cause d'elle ? Sans elle ?

 

       Soudain, au milieu de toutes ces questions qui en réalité n'en faisaient qu'une et resteraient à jamais sans réponse, une présence. Douce, chaude, sûre, parfumée comme un matin d'été : Miguel. Il était là, derrière elle, appuyé au chambranle. Elle aurait pu sans se retourner, décrire avec précision chacun de ses gestes, son attitude, les traits de son visage. Mais elle choisit de se retourner et là, rencontra son regard. Un regard indéfinissable d'amour désarmé. Elle se releva, se dirigea vers lui. À son tour, il s'avança vers elle, les bras ouverts. Elle s'y 

réfugia, retenant un sanglot. Sans un mot, il la serra contre lui et la berça longtemps, comme on berce un enfant.

 

      Jour après jour, le chagrin de Laura s'estompait un peu plus et l'espoir renaissait faiblement en elle. Pourtant, elle ne parvenait pas à chasser ce sentiment de culpabilité qui l'avait assaillie subitement comme un mauvais génie, à l'instant où elle avait appris les circonstances de la mort de son père. La certitude de sa responsabilité dans cette tragédie ne la quittait plus. À cause d'elle, Marc Beaumont avait perdu les trois quart de sa plantation, l'œuvre de toute une vie. Elle ne pourrait jamais s'en consoler. Dès son retour à la résidence, elle s'était juré de la remettre sur pied. Elle n'aurait de cesse de la rendre de nouveau aussi resplendissante qu'elle l'était avant le décès de Marc. Et même plus encore, s'il était possible. Ce serait pour elle une manière de s'acquitter un peu de la terrible dette qu'elle avait envers lui.

 

     La première chose à faire, et non des moindres, fut de déblayer les cendres et les restes du brasier. Il fallut des jours et des jours à tous les ouvriers pour redonner à la plantation un aspect moins désastreux. La tâche enfin terminée, la terre put de nouveau être ensemencée. Malheureusement, il allait falloir encore des mois avant de pouvoir obtenir une nouvelle récolte. Et ce n'était pas le moindre des problèmes qui tourmentaient Laura et Miguel. Comment allaient-ils réussir à maintenir l'activité de la sucrerie sans la canne à sucre ? Comment allaient-ils faire vivre les ouvriers ? On pouvait encore compter sur les récoltes des fournisseurs habituels, mais ce ne serait pas suffisant pour faire tourner l'usine à plein rendement. La production ne serait pas assez importante pour assurer le salaire de tous les ouvriers et l'achat de nouvelles matières premières. Les fazendeiros (*) de la région avaient déjà leur propre clientèle. D'ailleurs, ces derniers se réjouissaient plutôt de la défaite des Beaumont, se voyant déjà débarrassés d'un redoutable concurrent, lequel faisait du tort à la profession en laissant véhiculer des idées plus libérales dans le milieu ouvrier. Alors que Miguel et Laura avaient perdu presque tout espoir de trouver une solution à leurs problèmes, un fait inattendu se produisit un soir, tandis qu'ils étaient tous deux installés sur la terrasse, sur le point de prendre leur repas. Un homme d'une cinquantaine d'années leur rendit visite. Ni l'un ni l'autre ne le connaissaient. L'homme se présenta avec beaucoup de courtoisie et des manières un peu désuètes mais très originales. Miguel et Laura éprouvèrent une sympathie immédiate pour cet inconnu au charme d'antan. Il se dénommait Francisco Arena. Il était lui-même planteur, à une cinquantaine de kilomètres de là. Miguel et Laura apprirent de lui qu'il avait été l'ami de Marc et qu'il se trouvait être encore à ce jour son débiteur.

         – À une certaine période de ma vie, j'ai frôlé la catastrophe, annonça-t-il d'emblée, tout en tournant le regard vers Laura. Si votre père n'était pas venu à mon secours, je ne sais pas ce que je serais devenu. Aussi voudrais-je à mon tour faire quelque chose pour Marc à travers vous, en vous apportant mon aide.

Il marqua un temps d'arrêt. Pendant ces quelques secondes de silence, Miguel et Laura eurent du mal à cacher leur impatience. Puis il poursuivit :

       – Pendant quelque temps, jusqu'à la nouvelle récolte, vous aurez des difficultés à approvisionner l'usine, n'est-ce pas ? Aussi ai-je une proposition à vous faire : si vous le voulez, je peux vous vendre à un prix très réduit toute ma production à compter d'aujourd'hui. Je crois qu'elle compensera largement votre manque à gagner.

 

Miguel et Laura étaient abasourdis. Ils avaient passé tant et tant d'heures à chercher une solution à leur insoluble problème, et voilà que celle-ci apparaissait d'elle-même comme par miracle ! C'était trop beau. Cela devait cacher quelque chose. Et pourtant, il s'agissait bien là d'une véritable proposition. Tout ce qu'il y avait de plus honnête. Francisco Arena, comme un ange bienveillant, était venu frapper à leur porte pour leur offrir son aide désintéressée. Laura y entrevit un signe de la providence. Ils conclurent un accord le jour même. Laura le remercia chaleureusement :

        – Je vous serai éternellement reconnaissante. Vous ne pouvez imaginer ce que cela représente pour moi de faire revivre la plantation de mon père.

       – Je l'imagine aisément, au contraire, soyez-en sûre. Et vous n'avez pas à me remercier. Je vous le répète, j'ai une immense dette envers votre père. Plus importante que tout ce que vous pouvez imaginer. Croyez-moi, c'est bien le moins que je puisse faire pour lui.

 

Après conclusion de cette offre totalement inattendue, Francisco Arena repartit comme il était venu, laissant dans l'esprit de Laura et de Miguel l'image d'un véritable gentleman.

 

        La vie reprit son cours normal. Ils se marièrent dans l'intimité, trois mois après le décès de Marc. Laura était rayonnante. Elle était devenue Madame Juliao. C'était là le plus beau cadeau que Miguel pouvait lui faire, lui qui s'était promis de ne plus jamais aimer. N'était-ce pas là la plus belle preuve d'amour, qu'il venait de lui offrir en unissant sa vie à la sienne de manière officielle, sans l'ombre d'une hésitation ?

 

        À cette pensée Laura tendit la main devant elle et admira fièrement son alliance, symbole de son union avec l'homme de sa vie. Le soleil la faisait briller de tout son éclat. Allongée sur le sable, une main en visière pour se protéger de la réverbération, elle suivit ensuite en souriant les évolutions de Miguel qui nageait au loin, dans l'eau turquoise de l'île magnifique où ils avaient décidé de passer leur lune de miel. Il était en train de revenir vers elle. Quand il eut atteint le sable et qu'elle le vit s'approcher lentement, de cette démarche virile qui la faisait toujours craquer, elle ne put s'empêcher d'admirer dans tous les détails son corps d'athlète bronzé, ruisselant. Puis ses yeux remontèrent jusqu'à son visage, un visage au sourire éclatant, au regard troublant qui la dévorait. Il la souleva dans ses bras et la ramena avec lui vers la mer. Dans un grand éclat de rire, ils tombèrent ensemble dans l'eau, tandis que Laura tentait désespérément d'échapper à son sort dans un inutile battement de pieds, faisant mine de protester contre cette nouvelle initiative de son mari. Mais lorsqu'ils se retrouvèrent dans l'eau, face à face, riant à gorge déployée, ils ne purent résister davantage à cet élan qui les poussait toujours presque sauvagement l'un contre l'autre. Ils se retrouvèrent étendus sur le sable mouillé de la plage déserte, leurs corps emmêlés, leurs bouches scellées.

 

        Ils passèrent quinze jours de rêve, dans un décor paradisiaque, cernés seulement de cocotiers, palmiers et hibiscus éclatants de beauté. Ce fut un voyage de noce que tout homme rêve de vivre un jour. Laura en était pleinement consciente et reconnaissante, sans toutefois parvenir à croire à ce qui était en train de lui arriver. Tout cela était-il bien réel ? Allait-elle se réveiller d'un beau rêve ? En une fraction de seconde, la pensée étrange que son bonheur était trop intense pour durer vint troubler sa quiétude. Heureusement, elle fut très vite rassurée par le sourire amoureux de Miguel, qui chassa immédiatement ses divagations négatives.

 

        Après quinze jours de soleil, d'amour et d'eau fraîche, il fallut bien pourtant penser à rentrer à la résidence. La plantation ne pouvait souffrir leur absence plus longtemps.

 

        Ils reprirent leurs activités avec le même entrain qu'avant, mais armés d'une plus grande force encore. Ils étaient deux, à présent, ou plutôt ils ne faisaient plus qu'un. Le fait même de partager les mêmes intérêts et les mêmes objectifs semblait les rendre plus invincibles.

 

        Les quelques mois qu'ils consacrèrent à remettre la plantation en état furent très difficiles et pourtant féeriques. Tout les enchantait. Rien ne leur inspirait la moindre crainte, le moindre doute. Ils s'aimaient à ciel ouvert, sans plus aucune réserve. Leur amour les propulsait en avant. Laura avait enfin trouvé son port d'attache. Elle se sentait en sécurité pour la première fois depuis la mort de sa mère. Elle était bien loin d'imaginer que quelques semaines plus tard, une nouvelle visite inattendue allait cette fois l'éprouver terriblement et mettre en danger ce bonheur qu'elle-même avait senti, intuitivement, aussi fragile qu'une fine chaîne d'or.

 

        Laura et Miguel s'apprêtaient à partir travailler, chacun de leur côté, lorsqu'Alfonso, l'employé de maison, leur annonça l'arrivée d'une visiteuse :

        – Une jeune femme demande à vous voir, Monsieur Juliao.

        – Une jeune femme ? répéta Miguel, surpris, lui qui n'attendait personne à une heure aussi matinale, et encore moins une visite féminine. De qui s'agit-il ?

        – Je n'ai pas l'honneur de connaître cette personne, Monsieur, et elle a refusé de m'indiquer son nom. Miguel fronça les sourcils, dubitatif. Cette visite mystère ne l'arrangeait pas vraiment, à cette heure de la journée, mais il était curieux de savoir qui pouvait bien demander après lui. Laura également, d'ailleurs.

        – Très bien, faites-là entrer. Laura était assise en face de Miguel et fut la première à la voir s'avancer. Elle écarquilla les yeux de surprise. Devant elle se tenait une jeune femme absolument superbe, dotée d'une longue chevelure brune qui lui descendait jusqu'en bas du dos, de grands yeux noisette impeccablement maquillés et d'un corps de déesse. De quoi faire damner un saint. Qui pouvait bien être cette femme qui demandait à voir Miguel ?

 

        Lorsque la jeune femme arriva à leur hauteur, Miguel avait le regard perdu dans la verdure du parc. Il tourna la tête vers elle. Dès qu'il la vit, son visage devint livide. À cet instant, Laura ne sut ce qui l'angoissa le plus : la pâleur subite de l'homme qu'elle aimait ou le regard intense qu'il échangea avec leur visiteuse, une fraction de seconde seulement. Miguel reprit très vite contenance. Cette fois, son visage montrait clairement un profond mécontentement.

        – Qu'est-ce que tu fais ici ? s'enquit-il d'un ton sec qui les sortit tous les trois de leur hébétude.

Sans un regard pour Laura qu'elle avait proprement ignorée dès son entrée dans la maison, la visiteuse répondit calmement :

        – Je suis venue te parler, Miguel.

      – Nous nous sommes déjà tout dit il y a quatre ans, je crois. Je ne vois pas ce qu'il peut y avoir à ajouter. Puis, se tournant vers Laura :

       – À propos, ma chérie, tu ne connais pas Elena, ce modèle de vertu et de fidélité dont je t'ai parlé quand nous nous sommes rencontrés, toi et moi. Elena, voici ma femme : Laura.

       – Inutile de revenir sur le passé, répondit la visiteuse, toujours sans un regard pour Laura. Tu m'as déjà dit tout ce que tu pensais de moi il y a quatre ans.

Laura avait immédiatement pâli, dès qu'elle avait entendu prononcer le prénom d'Elena. À présent, elle suivait la conversation dans une sorte de brouillard, avec la sensation très désagréable d'être en train de vivre un mauvais rêve.

     – Pourrais-je te parler seule à seul quelques minutes ? demanda Elena. Ensuite, je te rendrai à ta femme, n'aie pas peur.

      – Tu peux parler devant Laura, je n'ai aucun secret pour elle.

      – Comme tu voudras. De toute façon il faudra bien qu'elle l'apprenne.

Se tournant pour la première fois vers Laura, elle ajouta, en ne s'adressant toutefois pas directement à elle :

      – Je te préviens, Miguel, que ce que j'ai à t'apprendre risque de faire un choc à ta femme.

      – Ne t'en fais pas pour Laura, elle est de taille à tout surmonter, elle en a vu d'autres.

      – Très bien, alors allons-y, entrons dans le vif du sujet ! Je vais te dire tout de suite ce que je suis venue faire ici : je t'ai amené ton fils.

Un silence de mort se fit dans la pièce. Miguel regarda fixement Elena sans comprendre. Laura, quant à elle, était pétrifiée. Son sang était en train de déserter tout son corps. Son pouls s'accélérait de seconde en seconde. Après un instant de silence total, ce fut Miguel qui se ressaisit le premier :

       – Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Qu'est-ce que tu as encore inventé ?

      – C'est la stricte vérité, Miguel. J'ai su que j'attendais un enfant de toi trois jours après que tu m'aies quitté.

        – Que je t'aie quittée ? ... Que je t'aie quittée ? Très amusant.

        – Ne jouons pas sur les mots, s'il te plaît.

       – En effet, ne jouons pas sur les mots. Je t'ai quittée, comme tu dis, oui, mais juste après avoir appris que tu me trompais avec mon meilleur ami, dois-je te le rappeler ? Et d'ailleurs, cet enfant dont tu m'attribues si généreusement et si tardivement la paternité, qu'est-ce qui me prouve qu'il est de moi ? Ne serait-il pas plutôt le fils de Chico ?

        – Impossible. Chico ne peut pas avoir d'enfant.

       – Rien ne prouve que tu n'aies pas eu d'autres amants en même temps que lui, je t'en crois tout à fait capable !

       – Ne sois pas insultant, Miguel. Je n'ai jamais eu d'autre amant que toi. Chico n'a été qu'une erreur. Une passade. Je l'ai quitté le jour même où tu nous as surpris ensemble. Je t'aimais, Miguel, et j'ai amèrement regretté ce que je t'ai fait, tu peux me croire. Je n'ai jamais pu t'oublier...

      – Par contre, je crois que tu oublies un peu trop la présence de ma femme en ce moment, éclata Miguel, de plus en plus furieux. Un peu de décence ! Il est vrai que tu as toujours eu très peu de retenue...

 

       De livide, le teint du visage de Laura devenait de plus en plus cramoisi. Elle sentait une rage sourde monter en elle, face à cette femme qui, sans aucun scrupule, déclarait devant elle sa flamme à son mari, le gratifiant d'un sourire irrésistible qui avait dû en faire tomber plus d'un dans ses filets. Elle avait une furieuse envie de sauter au visage de cette Elena, de strier sa peau de velours pour faire disparaître ce sourire sensuel. Mais elle resta stoïquement à sa place, feignant une assurance qu'elle était bien loin de ressentir. Et si Miguel avait encore des sentiments pour elle ? Elle avait bien vu avec quels yeux il l'avait regardée, au moment même où elle était apparue. La voix d'Elena la sortit de ses pensées anarchiques.

       – Ne sois pas odieux envers moi, Miguel, et laisse-moi te parler de ton fils.

       – Arrête ! Je ne crois pas un traître mot de toute cette histoire à dormir debout ! Tu croyais vraiment que tu allais pouvoir me faire gober ça ?

       – Viens le voir, Miguel, viens voir cet enfant et ose affirmer ensuite qu'il n'est pas ton fils.

À ces mots, Miguel perdit un peu de son assurance. Et si elle disait vrai ? Laura, quant à elle, était anéantie. Elle savait, d'instinct, qu'Elena avait dit la vérité. Quelle mère serait capable de proférer pareil mensonge à propos de son enfant ?

       – En admettant que tu dises vrai, insista Miguel, en un sursaut de doute, pourquoi ne me l'apprends-tu qu'aujourd'hui ?

       – Tu ne te rappelles pas comme tu étais furieux d'apprendre que j'avais eu une aventure avec Chico ? Tu m'as affublée de tous les noms. J'ai su alors, avec certitude, que jamais plus tu ne voudrais me revoir. Alors je suis partie. Quelques jours plus tard, j'apprenais que j'étais enceinte. Mais il était trop tard...

        – Et...où est cet enfant ?

       – Il attend dehors, viens le voir. Miguel suivit Elena de mauvaise grâce, mais il avait hâte d'en finir avec cette histoire.

En passant la porte, il se tourna vers Laura et lui sourit, cherchant ainsi à la rassurer.

 

Assis sur une marche du perron, un petit garçon attendait. Il s'amusait à lancer des cailloux de plus en plus loin.

       – Roberto ? Viens voir par ici ! l'appela sa mère.

Miguel sursauta en entendant le prénom de l'enfant, car c'était aussi celui de son propre père. Si malgré cela il avait encore un doute quant à la filiation de cet enfant, il n'en eut plus aucun lorsque la petite tête brune et bouclée se retourna. Miguel en resta bouche bée. À présent, il ne pouvait plus nier se trouver devant son fils, la chair de sa chair, car le visage de cet enfant était la réplique exacte de celui de Miguel au même âge. Il avait les mêmes traits, les mêmes cheveux bruns, le même regard profond, un regard qui le dévisageait avec une infinie tristesse qui le bouleversa. Cet enfant semblait lancer un appel de détresse. Il en eut des frissons dans le dos. Il se tourna vers Elena :

       – Alors ? fit-elle, triomphante.

       – Bon... admettons... cet enfant semble être mon fils. Alors ? Qu'attends-tu de moi, au juste ? Que je le reconnaisse ?

       – J'attends plus que ça, Miguel.

      – Je vois. Combien ?

      – Tu n'as rien compris. Je ne veux pas d'argent, je veux que tu le prennes avec toi, que tu t'occupes de lui. C'est bien ton tour, non ?

      – Comment ça, c'est bien mon tour ? Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu ne veux tout de même pas que j'élève cet enfant ?

      – Si, c'est exactement ce que je veux. Je ne peux plus m'occuper de lui. Ça coûte cher un enfant, et je ne peux plus le nourrir. D'autre part on m'a proposé une bonne place dans une maison de maître où je serai nourrie et logée, mais où je ne peux pas l'emmener avec moi.

Miguel n'en croyait pas ses oreilles. Elena venait de parler froidement, indifférente au regard de son fils qui n'avait pas perdu un seul mot de la conversation.

       – Tu n'es pas en train de me dire que tu t'apprêtes à abandonner ton enfant ?

     – Oh tu sais, je n'ai jamais eu la fibre maternelle. Si j'ai gardé Roberto, c'est que je n'avais pas les moyens d'avorter, et pour tout te dire, Roberto sera certainement plus heureux sans moi. Alors, tu es d'accord pour le prendre avec toi, oui ou non ?

Miguel éprouva tout à coup une intense sensation d'écœurement, face à cette femme qui parlait de son enfant comme d'un objet encombrant, sans le moindre scrupule. Comment avait-il pu aimer un jour un tel monstre d'égoïsme ?

       – Mais enfin, Elena, tu ne peux pas faire ça ! Te rends-tu compte du mal que tu vas faire à cet enfant ? Et de ce que tu me demandes ? Tu crois que je peux tranquillement arriver chez moi, comme ça, un enfant à la main et dire à Laura : voilà, c'est mon fils, il va vivre avec nous ?

      – Elle t'aime, non ? Et puis, de toute façon ce n'est pas mon problème, ça. Il n'y a aucune autre solution. Ou plutôt si, il y en a une : la maison d'adoption. Si tu refuses de le prendre en charge.

     – Tu me dégoûtes, Elena, tu es pire que tout ce que je pouvais imaginer. Je te savais menteuse, tricheuse, mais jamais je n'aurais pensé que par pur égoïsme, tu en viendrais un jour à abandonner ton propre fils !

       – Eh bien tu vois, on ne connait jamais vraiment les gens. Inutile d'essayer de me culpabiliser. Je ferai exactement ce que j'ai dit que je ferai. Alors la seule chose que je te demande dans l'immédiat, c'est de répondre à ma question : acceptes-tu, oui ou non, de te charger de Roberto ?

Miguel regarda son fils, dont les grands yeux noirs le scrutaient avidement. Ce qu'il y vit lui fit mal. C'était un regard à la fois plein d'espoir et résigné. Un regard qui semblait appeler à l'aide, sur le visage d'un enfant déjà prêt pourtant, à renoncer à ce qu'il espérait. Il ne pleurait pas, mais le désespoir qui perçait dans ses yeux était le plus insupportable que Miguel eût jamais vu de toute sa vie. Et pourtant il en avait vu ! Alors, sans plus aucune hésitation, il tendit la main vers l'enfant, tout en lui disant simplement : "Viens". Roberto mit sa main dans celle de son père, lui offrant un regard plein d'admiration, aussi émouvant que surprenant. Miguel se tourna ensuite vers Elena :

       – Je ne veux plus jamais te revoir ici, c'est bien compris ?

     – Aucun problème, je n'en avais pas l'intention, de toute façon. Ne t'en fais pas, tu n'entendras plus jamais parler de moi.

Puis, se penchant vers son fils, elle lui dit simplement, sans même l'embrasser :

      – Au revoir, Roberto. L'enfant ne répondit pas. Il leva seulement vers sa mère un regard d'animal blessé, à la fois interrogateur et accusateur. Alors elle se détourna en haussant les épaules, s'éloigna et disparut pour toujours.

 

       Miguel serra plus fort la petite main de Roberto dans la sienne et reprit avec lui le chemin de la maison. Lorsqu'ils pénétrèrent dans le vestibule, ils y retrouvèrent Laura qui les y attendait, le visage marqué par l'inquiétude. Elle regarda Miguel sans un mot, puis Roberto qui la dévisageait d'un regard sans émotion. Elle chercha Elena des yeux.

       – Elle est partie. Pour toujours. Roberto va vivre avec nous.

Laura resta sans voix. Son regard allait de Miguel à Roberto et de Roberto à Miguel. Sans discontinuer. Une multitude de sentiments contradictoires l'assaillirent en même temps : incompréhension, déconvenue, agacement, colère. Puis, peine, compassion, désir d'aller vers cet enfant qui semblait habité d'une tristesse infinie.

     – Je suis désolé, Laura, je n'ai rien pu faire. C'était la seule solution pour lui éviter l'orphelinat.

     – L'orphelinat ? Tu veux dire qu'elle l'a abandonné ?

       – C'est monstrueux, je sais, mais oui, elle l'a abandonné. Je sais que c'est un choc pour toi, querida, mais pouvais-je la laisser se débarrasser de cet enfant, mon fils, n'importe où, n'importe comment ?

Sans un mot, Laura posa son regard sur l'enfant. Il tenait toujours la main de Miguel, immobile et silencieux. Seuls ses yeux semblaient vivants. Infiniment malheureux, mais vivants. Le reste de son corps paraissait inanimé. Elle lui sourit, tout en s'adressant à lui d'une voix douce :

      – As-tu faim, Roberto ? L'enfant ne répondit pas. Laura lui tendit la main.

      –Viens avec moi, je vais te montrer plein de choses délicieuses.

D'abord réticent, Roberto lâcha la main de Miguel et se dirigea vers Laura, le regard soudain angoissé. Ce qui n'échappa ni à l'un ni à l'autre.

      – Je te fais peur ? Tu n'as rien à craindre, je te le promets, je ne te ferai aucun mal. Allez, viens !

 

       Quelques minutes plus tard, Laura observait Roberto qui dévorait les gâteaux et les tartines de confiture qu'elle lui avait préparés. Bientôt, il eut le visage couvert de chocolat et de groseilles. Elle sourit à la vue de cet enfant barbouillé qui appréciait sans retenue ce qu'on lui proposait. Mais lorsqu'elle s'approcha de lui pour lui nettoyer le visage avec un gant tiède, il eut un mouvement de recul apeuré et se protégea instinctivement la tête de ses deux mains. Laura stoppa net.

      – Pourquoi fais-tu ça, Roberto ? Je n'avais pas l'intention de te frapper. Il ne faut pas avoir peur de moi, je ne te veux aucun mal, je veux seulement essuyer ta bouche et tes joues. Comme ça, fit-elle en dégageant son visage et en passant doucement le gant humide sur sa peau. Voilà. Tu vois, je ne t'ai fait aucun mal. Maintenant, tu es tout propre ! À présent, si tu veux, Miguel et moi allons te faire visiter ta nouvelle maison.

 

       Miguel, qui était resté en retrait, s'approcha doucement, le sourire aux lèvres. Il avait observé la scène de loin. Comme il aimait cette femme ! Avec cette abnégation qu'il lui connaissait déjà, elle avait spontanément accueilli son fils avec tendresse, comme s'il était le sien, faisant ainsi taire ses propres sentiments. Car il imaginait bien toutes les pensées qui avaient dû la torturer ces dernières minutes.

 

* Fazendeiro : grand propriétaire terrien

 



11/05/2018

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