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Les gardes du coeur

 

couverture Les gardes du coeur.gif

 

 

 ®Tous droits réservés - Martine Plouvier-Vivien

 

 

4ème de couverture :

 

Paris, fin des années 70. Laura partage son temps entre ses études et son travail. Juste après le décès de sa mère, son père, après plusieurs années d'absence, revient en France pour lui proposer de vivre au Brésil avec lui. Après un premier refus, elle finit par le rejoindre, dès qu'elle apprend son fragile état de santé. C'est là-bas que sa vie va prendre un nouveau tournant, entre son travail à l'engheno et ses engagements pour la cause des coupeurs de canne à sucre, exploités et maltraités par les fazendeiros. Elle va également y rencontrer l'amour, un amour fragile et tourmenté qui va bouleverser sa vie.

 

Extrait :

 

Chapitre 1 :

 

 

     Salle comble et humeur sombre, ce jour-là. Laura slalomait à toute vitesse entre les tables, priant pour qu’aucun client ne recule brusquement sa chaise. Elle était hypertendue. À tel point qu'elle risquait à tout moment de faire tomber son plateau. Comment faisait Daniel, son collègue et ami, pour garder son aisance et son sourire dans cette cohue de fin de samedi après-midi ? Comment pouvait-il garder son insouciance et sa bonne humeur ? Son humour aussi, alors qu'en ce jour exceptionnellement orageux du mois de février, la clientèle de la brasserie était tout aussi énervée qu'énervante. Entre deux tables, il prit le temps de s'approcher d'elle et de lui souffler dans le creux de l'oreille, avec sa malice coutumière :

–   Tout va bien Laura ? Allez... plus qu'une heure à tenir. Ça va aller... Enlève ton masque de vilaine sorcière. Range ton balai.

Elle ne put s'empêcher de sourire et lui répondit du tac au tac :

–  Attends un peu d'y goûter, à mon balai de sorcière, tu vas voir.      

–   Mmm... Ça doit être un vrai plaisir de se faire bastonner par toi, ensorceleuse Laura.

 

Elle éclata de rire en remportant son plateau vide au comptoir. Cinq secondes plus tard, celui-ci était déjà rempli de deux nouvelles commandes. Aussi vite, elle repartit vers le fond de la salle. Elle déposa deux bouteilles de soda sur une table où deux jeunes amoureux se dévoraient des yeux en ne remarquant même pas sa présence. Puis elle apporta son café crème au client de la table à côté. Elle avait déjà détecté quelque chose d’atypique chez ce type sans âge, au moment où elle avait pris sa commande. Elle ne l'avait pas vu entrer. Il semblait de taille moyenne et trapu. Les cheveux châtain clair, la peau hâlée. Il était sans doute plutôt beau garçon, les jours où il était de bonne humeur, mais ce jour-là, à cet instant-là, les traits de son visage, déformés par un rictus mauvais le rendaient aussi laid que tout à fait antipathique. Quand, en prenant sa commande, Laura lui avait demandé d'un ton poli ce qu’il désirait boire, il l’avait dévisagée de ses grands yeux noirs complètement ronds pendant au moins dix secondes, sans lui répondre. Et c’était très long, dix secondes en station debout devant quelqu’un qui vous scrute avidement en silence, comme s’il cherchait à vous avaler par les yeux ! Elle avait eu le temps de lui poser trois fois la question, avant qu’il ne daigne lui commander un café-crème avec une voix d’outre-tombe à vous glacer le sang, doublée d’un fort accent étranger. Elle n'était pas spécialement impressionnable, mais là, elle dut bien reconnaître que le type la mettait mal à l'aise. Et voilà qu’à présent il la suivait du regard, le corps figé, droit comme un i, l’œil noir. Elle posa en hâte la tasse de café sur la table. Comme elle s’y attendait, elle n'eut droit à aucun remerciement. Silence total et deux yeux mauvais rivés sur elle.

–    Tu as vu le type du fond ? lui demanda Daniel, tout en riant sous cape, il n’arrête pas de te fixer. Si ça continue, ses yeux vont lui sortir des orbites !

–   Merci, j’avais remarqué.

–   Tu as un de ces succès quand même ! Ça ne va pas du tout ça…tu me voles la vedette !

–   Oh mais je te laisse volontiers ma place, aucun problème. Très peu pour moi. Il a l’air fêlé ce type. Il ne m’a pas quittée des yeux depuis qu’il est entré.

–    Qu’est-ce que tu veux... quand on se retrouve nez à nez avec une aussi ravissante jeune femme que toi, on ne veut pas perdre une miette de ses allées et venues !

–      Arrête, c’est pas drôle. Je te dis qu’il n’est pas net ce type.

–  Mais non…tu te fais des idées. Il est peut-être timide, tout simplement ! Ne t’inquiète pas, il va bien finir par se lasser.

 

   Mais l’individu en question ne se lassa pas le moins du monde. À l’heure de la fermeture, c’est-à-dire deux heures plus tard, il était toujours là, n’avait pas bougé d’un iota, le regard toujours fixé sur Laura. Daniel le pria gentiment de s’en aller. Confronté à son tour au refus silencieux de l’énergumène, il fut obligé de hausser le ton. Le client se leva enfin, de mauvaise grâce. Il quitta la brasserie non sans avoir auparavant gratifié Laura d'un regard incendiaire. Elle se demandait ce qu'elle avait bien pu dire ou faire à cet homme pour qu’il la fusille du regard avec autant de haine. Daniel proposa de la raccompagner chez elle. Elle refusa, acceptant toutefois d'être escortée jusqu’à sa voiture. Sur le parking, il attendit que Laura démarre le moteur, puis, constatant que tout était normal, s’éloigna en lui adressant un petit signe amical. Elle se dépêcha de sortir du parking, saisie d’un étrange pressentiment. Puis, toutes les deux secondes, elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. Elle était pourtant bien consciente de l’inutilité totale de ce geste, puisqu’il faisait noir, que les quelques voitures qui la suivaient avaient leurs phares allumés et qu’il lui était donc tout à fait impossible de voir qui se trouvait à l’intérieur des habitacles.

 

   Vingt minutes plus tard, elle se garait devant chez elle, un peu plus rassurée. Aucune voiture ne semblait l’avoir suivie. Elle s'en voulut d’être aussi ridiculement froussarde. Il n’y avait absolument aucune raison d’avoir peur. À la brasserie, un inconnu avait passé son temps à la reluquer, et alors ? Il n’était pas le premier et ne serait pas le dernier. Combien de fois s’était-elle déjà fait draguer depuis le temps qu'elle travaillait là ? Combien de fois avait-elle déjà repéré des regards insistants ? Oui, mais… deux heures d’affilée, combien de fois ? Jamais. Non, jamais. Jusqu’à ce soir... Elle poussa sur le bouton de la minuterie, espérant que personne ne surgirait de l’ombre avant que la lumière ne s’allume. Rien de tel ne se produisit. Elle se dirigea vers l’ascenseur, appuya sur le bouton d’un doigt impatient. Jamais cette maudite boîte qui tombait tout le temps en panne ne lui avait paru si poussive. Elle râla à voix basse : « dépêche-toi un peu ! Allez ! » Comme si l’ascenseur allait l’entendre et comprendre que ce soir-là, il fallait faire fissa ! Dès qu’il fut là, elle s’engouffra à l’intérieur avec autant de précipitation qu’un passant dans un grand magasin chauffé un jour de grand froid. Une fois dedans, il lui fallut un centième de seconde pour appeler son étage. Toujours le même inexplicable pressentiment lui serrait la poitrine, alors qu'elle n'avait rien repéré d’anormal, ni sur la route, ni dans le hall. Des images de ses derniers cauchemars lui revinrent subitement en mémoire. Et s'il s'était agi de rêves prémonitoires ? Soudain, elle souhaita si fort avoir le don de se téléporter, qu'elle eut vraiment la sensation que ses jambes s’étaient allégé. Ce n’était malheureusement qu’une impression. Elle dut attendre que s’ouvre la porte de l’ascenseur, avec une lenteur exaspérante et un bruit de ferraille tout aussi crispant, pour se retrouver sur le palier, devant son entrée, dans la pénombre. Son pressentiment ne faisait qu’enfler au fil des secondes. De longues, très longues secondes qui la séparaient encore de son appartement et qui rythmaient ses fouilles archéologiques à la recherche de ses clés dans son sac besace. Mais pourquoi n'avait-elle pas eu l’idée de les sortir quand elle était encore en sécurité dans sa voiture ? Elle sentit une présence derrière elle, perçut un bruit de froissement. Un son imperceptible en temps ordinaire mais qui, ce soir-là, résonnait étonnamment dans le couloir désert, en cet instant où Laura avait les cinq sens en alerte. Elle crut voir une ombre, perçut un étrange son de voix. Des frissons lui parcoururent l’échine. La main plongée dans son sac, cherchant à tâtons les clés de son salut, elle lança des regards inquiets à la ronde. Enfin, elle entendit un cliquetis familier. Elle sortit ses clés, enfonça la plus petite dans le trou de la serrure, entra vite chez elle, referma la porte précipitamment, la verrouilla, puis s’y adossa avec un profond soupir de soulagement, juste après avoir allumé la lumière. C’est seulement alors qu'elle se moqua d'elle-même en riant. « Tu lis trop de polars ma vieille, et voilà le résultat ! Tu entends des voix, tu as des visions… il est temps de revenir à des lectures plus saines ! »

 

      Avant même de poser son sac et de retirer son manteau, elle fila vers la chaîne hi fi et s’empressa de l’allumer pour briser le silence et penser à autre chose. Mais les notes de musique n’eurent cette fois aucun effet décontractant sur elle. À peine cinq secondes plus tard, elle ne put s’empêcher de retourner à la porte et de regarder par l’œil-de-bœuf. La vision qu'elle eut alors la projeta instantanément en arrière : l’iris d’un œil, collé de l’autre côté ! Elle en eut le souffle coupé et resta pétrifiée, incapable de bouger. Les battements de son cœur résonnaient en elle comme ceux d’une grosse caisse. Elle n’entendait même plus la musique. Après quelques secondes de prostration totale, elle regarda de nouveau par l’œil-de-bœuf. Tout était redevenu normal. Elle ne distinguait que le palier désert plongé dans la pénombre. Elle poussa un soupir de soulagement, sans toutefois être totalement rassurée. Elle n’avait quand même pas eu la berlue ! Il y avait bien un œil, là, à l’instant, qui fixait son œil à elle ! Elle se dirigea vers la fenêtre du salon et regarda sur le parking et dans la rue en contrebas. Tout semblait normal en ce soir de février. Les habitants étaient cloîtrés au chaud chez eux, devant leur poste de télévision. Il était 21 h 30 et à part quelques voisins obligés de promener leurs chiens tous les soirs, il n’y avait jamais personne dans la rue à cette heure-là.

 

     Elle se fit réchauffer les restes d’une carbonnade qu'elle avait préparée la veille pour sa tante, prit un plateau, puis s'installa devant la télévision. Elle mangea sans appétit et suivit les images du film d’un œil distrait. Elle était à l’affût du moindre bruit suspect. Mais rien d’anormal ne se produisit par la suite. Elle regarda encore plusieurs fois dans l’œil-de-bœuf sans détecter la moindre anomalie. Elle finit par se convaincre qu'elle avait eu des visions, et un peu rassurée, se mit au lit avec « Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir. Elle était installée depuis à peine trente minutes lorsque la sonnerie du téléphone résonna dans la pièce. Elle sursauta, prise d’un nouveau pressentiment. Elle laissa sonner quatre fois avant de répondre. Silence dans l’appareil. Elle prononça trois « Allo » consécutifs sans obtenir de réponse. Elle n’entendit rien d’autre dans l’écouteur qu’une respiration profonde. Elle raccrocha alors le combiné, presque aussi agacée qu’angoissée. Elle avait toujours eu horreur de ces petits plaisantins qui prennent un malin plaisir à faire peur aux personnes seules par téléphone. Elle trouvait cela aussi lâche que puéril et d’habitude, s’énervait beaucoup plus vite. Mais là, elle sentait bien qu’il s’agissait d’autre chose... Tout la portait à croire qu’il s’agissait d’autre chose.

 

       Elle reprit sa lecture où elle l’avait laissée, mais ne parvint pas à lire la moindre ligne. Chaque mot se métamorphosait en un nouveau hiéroglyphe à déchiffrer. Elle n’arrivait pas du tout à se concentrer. Énervée, elle finit par poser le livre sur la table de chevet et éteignit la lumière. Elle essaya la méthode de la relaxation. Peine perdue. Elle était sur le qui-vive. Comment se relaxer tout en étant sur le qui-vive ? Dix minutes plus tard, le téléphone sonna de nouveau. Cette fois, elle décrocha aussitôt. Il fallait qu'elle sache. Toujours le même silence à l’autre bout du fil, à part une respiration profonde. Elle s’énerva : « Qui est à l’appareil ? Vous vous croyez drôle ? » Mais rien d’autre qu’un souffle ne lui répondit. Elle raccrocha brutalement le combiné. Sa rage monta au même rythme que son angoisse, et la troisième fois, elle se mit à hurler dans l’appareil : « ça suffit maintenant, espèce de malade ! J’ai appelé la police et on m’a mise sur écoute, alors…» Elle eut à peine le temps de finir sa phrase, que son interlocuteur avait déjà raccroché. Elle posa le combiné à son tour, assez satisfaite d'elle-même. Après cela, le téléphone resta muet.

« C’est bien ce que je me disais, voulut-elle se rassurer en se remettant au lit, tous des pétochards, ces psychopathes du téléphone ! » Elle entreprit la lecture de son roman en cours. Après seulement quelques minutes, elle s'endormit dessus.

 

 

 

 

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30/01/2017

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