Le Noël de Lise (1er épisode)
L'heure est venue pour moi de vous proposer mon nouveau récit annuel dans la série "Un Noël pas comme les autres". Il s'intitule "Le Noël de Lise". J'espère qu'il vous plaira
Lise pénétra comme une somnambule dans le hall d’entrée de la résidence où elle occupait un petit appartement. Elle enfonça machinalement la clé dans la serrure de sa boîte aux lettres, qu’elle ouvrit d’une main tremblante. Puis elle se saisit maladroitement d’un énorme tas de courrier, plutôt constitué de tout un fatras de prospectus que de lettres. Elle se dirigea vers l’ascenseur en traînant les pieds, appuya sur le bouton de son étage d’un doigt moite, puis se mit à attendre impatiemment son arrivée au 4ème. La petite musique d’ambiance diffusée dans la boîte métallique eut le don de l’énerver plus encore que d’habitude, mais dans l’état où elle était, elle ne trouvait même pas le courage de s’en plaindre. Arrivée enfin devant sa porte, elle se précipita sur la serrure, pressée de l’ouvrir. Puis quand ce fut fait, déposa sac à main, courrier et sachet de pharmacie sur la table de la salle à manger, avant de filer directement à sa chambre pour s’affaler tout habillée sur son lit.
Avant de rentrer chez elle, elle avait consulté son médecin, après une journée entière à transpirer au bureau, à tousser, éternuer, cracher, sous les yeux tantôt compatissants, tantôt suspicieux de ses collègues. C'est que tout cela ressemblait fort à la grippe et personne n’avait envie de reproduire l’actuelle version de Lise dans les minutes qui allaient suivre ! De fait, le médecin avait bel et bien diagnostiqué la grippe. Avait prescrit anti-fièvre, antitussif, spray nasal, et au cas où, un antibiotique. « À ne pas prendre dans l’immédiat », lui avait-il dit, « car nous sommes en présence d’un virus et non d’un microbe ». Pourquoi le prescrire alors ? s'était dit Lise avec une petite pointe d’agacement.
Elle était maintenant allongée tout habillée sur son lit, ce dont elle se fit vaguement le reproche, à moitié assommée de fièvre, secouée comme un prunier par des frissons irrépressibles et la tête enserrée dans un étau. Mais elle n’avait vraiment pas le courage de se déshabiller, d’aller chercher le thermomètre dans la salle de bain, ni même de prendre les médicaments qui venaient de lui être prescrits. On verrait bien après…
Elle se réveilla une heure plus tard, trempée de la tête aux pieds. Évidemment, avec autant d’épaisseur de vêtements sur elle et la couette par-dessus, il ne pouvait en être autrement ! Mais au moment de se coucher elle tremblait tellement de froid et était si abattue par la fièvre, qu’elle n’avait pas eu le courage de se déshabiller pour enfiler un pyjama. Mais là, il devenait plus qu’urgent de le faire. Cette nouvelle sensation de froid, due cette fois à ses vêtements humides de sueur, était vraiment très désagréable. Et puis il était peut-être temps maintenant d’avaler les médicaments qui lui avaient été prescrits, sinon à quoi bon consulter ? En tout cas, cette suée lui avait apparemment fait le plus grand bien, puisque la fièvre semblait être retombée. Elle se sentait un peu moins abattue que tout à l’heure en rentrant.
Après s’être changée et avoir avalé ses pilules, Lise s’installa tout au fond de son canapé, une jambe repliée sous elle, et entreprit la lecture de son courrier. Première enveloppe : une facture. Deuxième enveloppe : une facture. Troisième : encore une facture. Si les factures n’existaient pas, je me demande s’il y aurait encore des facteurs, se dit-elle. La quatrième enveloppe l‘intrigua plus que les autres. Le logo qui figurait en haut à gauche ne lui disait rien. « Voyages lointains ». Un pli publicitaire, peut-être… Pourtant, elle ne ressemblait en rien aux habituels courriers publicitaires. Celle-ci avait un air… officiel. Elle était adressée à Lise et Sébastien Ducatel. En découvrant ce nom sur l’enveloppe, des dizaines de flashs désordonnés lui revinrent en mémoire, leur impact négatif décuplé par la température de son corps, laquelle était en train de remonter à la vitesse grand V.
Sébastien était son défunt mari, décédé neuf mois plus tôt dans un accident de la circulation, aux côtés de sa maîtresse qui l’accompagnait pour un séminaire dans la région de Bordeaux. Elle avait appris les deux nouvelles en même temps : Sébastien était mort sur le coup, tandis que sa co-voyageuse s’en était sortie avec quelques côtes fêlées et diverses contusions. Pour Lise, le choc avait été terrible. Apprendre la mort d'un conjoint et sa trahison en même temps est quelque chose de tout bonnement inimaginable. Des milliers de pensées s’étaient bousculées dans sa tête. Être brutalement séparée de l’homme qu’elle aimait, savoir qu’elle ne le reverrait jamais plus, sans même avoir eu le temps de lui dire au revoir, avait été extrêmement traumatisant pour elle. Mais en même temps, apprendre que son mari, qu’elle croyait aussi amoureux d’elle qu’elle l’était de lui, la trompait depuis des mois sans qu’elle se fût rendu compte de rien, l’avait proprement terrassée. Tout son monde s’était écroulé d’un seul coup. Elle n’avait pas seulement perdu l’homme qu’elle aimait, mais son amour s’était évanoui avec lui. Cet amour qu’elle croyait unique, exceptionnel, ce que lui-même lui avait répété si souvent, chaque fois qu’il lui avait offert l’un de ces beaux bouquets de roses rouges qu’elle aimait tant.
Le cœur battant, elle souleva le volet de l’enveloppe, qu’elle déchira ensuite d’une main impatiente. Quand elle en découvrit la teneur, elle en resta bouche-bée. En préambule était précisé le motif formel de la lettre : celle-ci leur avait été envoyée suite à divers mails envoyés quelques semaines plus tôt sur la boîte de Sébastien et restés sans retour. Et pour cause…
Puis on rentrait dans le vif du sujet : Sébastien avait participé à un jeu-concours dont le premier prix était un voyage pour deux personnes à l’occasion des fêtes de Noël. En Polynésie ! Lise n’en revint pas. Elle relut la lettre une deuxième fois, pour être bien sûre qu’elle n’était pas en train de rêver. Il n’y avait aucun doute, c’était bien son prénom et celui de Sébastien, suivi de leur nom de couple marié qui figuraient sur le papier, avec les félicitations du jury et un coupon à renvoyer pour confirmer l’acceptation du prix et la réservation du vol. Si Lise n’avait pas été assise, elle en serait tombée évanouie. Son cœur battait la chamade, ses forces venaient de déserter tout son corps. Tant d’émotions d’un seul coup, c’était vraiment trop pour une frêle jeune femme comme elle, qui plus est aux prises avec une grippe carabinée. Au moment même où elle s’apprêtait à relire la lettre pour la troisième fois, retentit la sonnerie de son téléphone cellulaire. Il s’agissait de sa collègue et amie Coralie.
— Alors ma grande, comment te sens-tu ? Tu n’avais vraiment pas l’air en forme tout à l’heure.
— J’ai la grippe.
— J’en étais sûre. Tu tremblais comme une feuille et tu avais le visage décomposé. Tu as de la fièvre ?
— 39,5°.
— Ah oui, quand-même… tu as pris ce qu’il faut ?
— Oui oui, ne t’inquiète pas. Il n’y a plus qu’une chose à faire : au lit avec une bonne bouillotte pour transpirer un max. Elle n’a rien dit à propos de mon absence, la mégère ?
— Non non, t’inquiète. Elle a bien trop peur que tu lui refiles tes microbes, répondit Coralie en riant. Aussitôt que tu es partie, elle a aspergé ton bureau d’un aérosol aux huiles essentielles, pour tout désinfecter. Tout le monde râlait, ça pue son truc !
Lise n’avait pas franchement envie de rire cinq minutes avant l’appel de son amie, mais là, c’était irrésistible. Elle imaginait très bien la scène, avec le regard et les gestes hystériques de sa responsable hiérarchique et les mines consternées de ses collègues, obligés de subir.
— J’ai bien fait de t’appeler, ma belle, non ? Je t’ai fait rire, au moins.
— Oui, tu as très bien fait, parce qu’il n’y a pas cinq minutes de ça j’avais plutôt envie de pleurer, tu vois.
— Bah je comprends. J’ai eu la grippe l’année dernière, moi aussi. J’étais complètement abattue. J’avais l’impress…
— Il ne s’agit pas de ça, la coupa Lise.
— Ah bon ? Qu’est-ce que c’est alors ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Lise expliqua à son amie la raison de son abattement.
— Non… tu as gagné un voyage à Tahiti ? Pour Noël ? Eh ben ça alors… si je m’attendais à ça…
— Nous avons gagné un voyage à Tahiti. Sébastien et moi. Enfin plus exactement en Polynésie. À Bora bora. J’ignorais totalement qu’il avait participé à ce concours.
— D’accord, et alors ? Quel est le problème ? Tu iras seule, voilà tout !
— Tu ne te rends pas compte… je n’avais pas prévu ça… ça me perturbe tout ça…
— Lise, écoute… on en a discuté des centaines de fois. Tu te fais du mal. Arrête de gamberger. Les choses sont ce qu’elles sont. Vis maintenant ! Pense un peu à toi ! Tu te rends compte de la chance que tu as de pouvoir passer Noël à Tahiti ? Si j’étais à ta place, je n’hésiterais pas une seule seconde.
Lise resta silencieuse.
— Ça te ferait le plus grand bien. En plus, après ta grippe, tu vas être fatiguée, tu vas voir. Tu auras besoin d’une bonne convalescence. Noël est dans un mois, c’est parfait ! Une convalescence au chaud sous les cocotiers, que demander de mieux ?
— Tu crois… ?
— Mais oui, bien sûr.
— Qu’est-ce que tu fais à Noël, toi ?
— Je ne sais pas encore. Je ne crois pas que je vais pouvoir retourner dans ma famille à Toulouse. Je vais bien trouver une ou deux copines esseulées comme moi pour attendre le père Noël, plaisanta-t-elle.
— Tu viens de la trouver, la copine esseulée. Si tu m’accompagnais là-bas ?
Coralie resta muette plusieurs secondes, puis répondit :
— Non… je rêve là… dis-moi que je rêve… tu viens bien de me proposer de t’accompagner au paradis ?
— Tu ne rêves pas. Et j’aimerais bien que tu me donnes une réponse vite fait, parce que là, je sens que la fièvre remonte et je n’ai qu’une envie, tu vois, c’est d’aller me recoucher.
— Mais c’est possible, ça ? Je peux remplacer Sébastien ? Comme ça ?
— Écoute, le prix était un voyage pour deux personnes. Et tu es d’accord avec moi à propos du fait que Sébastien a maintenant peu de chance de m’accompagner là-bas ?
— Je constate que tu n’as pas perdu ton humour, il te reste encore de l’énergie, c’est bien, fit Coralie, amusée.
— Oui, mais comme je te dis, ça risque de ne pas durer très longtemps, alors donne-moi vite ta réponse.
— C’est oui. Oui, bien sûr. Je serais vraiment stupide de refuser une telle proposition, pas vrai ?
— Ça c’est sûr. Bon, c’est pas que ta conversation m’ennuie, Cora, mais là, je tombe de sommeil.
— D’accord, d’accord, je te laisse. Soigne-toi, hein ?
— Oui oui, ne t’inquiète pas.
Les deux jeunes femmes raccrochèrent en même temps et aussitôt, Lise s’affala sur son lit.
À suivre...
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